Infractions criminelles : conséquences pour les professionnel·les et la protection du public

Par | Publié le | dans la catégorie Chroniques du syndic

Il arrive malheureusement que des infractions criminelles soient commises par des professionnel·les. En septembre dernier, notre Ordre a d’ailleurs conclu une entente avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales (« DPCP ») pour faire en sorte que le DPCP avise l’Ordre si des accusations criminelles sont déposées contre une ou un membre. Cette entente s’ajoute aux obligations de divulgation des membres, qui doivent déclarer à l’Ordre les verdicts de culpabilité criminelle les concernant de même que les accusations criminelles passibles de cinq ans d’emprisonnement ou plus1.

Dans ces situations, et à la condition que l’infraction criminelle ait un lien avec l’exercice de la profession, le bureau du syndic peut s’adresser au Conseil de discipline pour obtenir les mesures appropriées de protection du public. Dans cette chronique, nous passerons en revue les décisions disciplinaires relatives à des infractions criminelles commises par des membres2.

Précédents disciplinaires sur les infractions criminelles

Action indécente et exhibitionnisme devant des mineurs

Dans une décision du 21 juin 20123, le travailleur social exerçait en milieu scolaire. Il avait été déclaré coupable, au criminel, d’action indécente dans un endroit public et d’avoir exhibé ses organes génitaux dans les toilettes devant des enfants de 11 et 12 ans qui étaient ses clients. Le Conseil de discipline a rappelé l’obligation déontologique de se comporter d’une façon digne et irréprochable sur tous les plans4. Le Conseil a ajouté ceci : « L’existence du lien entre les actes criminels qui sont reprochés à l’intimé et l’exercice de la profession de travailleur social est manifeste et le plaignant n’avait certainement pas besoin d’en faire une longue démonstration. »5. Le Conseil a imposé une limitation du droit de desservir une clientèle de moins de 16 ans.

Attouchements sexuels avec un mineur

Le 22 juin 2016, le Conseil de discipline s’est prononcé6 à propos d’une travailleuse sociale qui s’était engagée dans une relation affective avec un adolescent. Ce dernier avait été son client en protection de la jeunesse. La relation affective a débuté alors que le jeune avait environ 17 ans et demi. La travailleuse sociale a été déclarée coupable au criminel d’attouchement sexuel en situation d’autorité, de confiance ou de dépendance. Le Conseil de discipline a constaté le lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession. Il a imposé une radiation temporaire de trois ans et une amende. Le Conseil a aussi recommandé une supervision obligatoire.

Voies de fait, séquestrations et bris de conditions

La troisième décision, rendue le 9 juin 20227, porte sur un travailleur social déclaré coupable au criminel de voies de fait, séquestrations et bris des conditions de remise en liberté. Toutes ces infractions avaient visé la même victime dans un contexte de violence conjugale. D’un commun accord, les parties au dossier ont estimé que ces infractions criminelles comportaient un lien avec l’exercice de la profession de travailleur social, où ce dernier doit notamment « contrôler ses émotions, mesurer ses gestes, faire preuve d’écoute et tempérer ses paroles »8. Le Conseil de discipline a confirmé cette analyse et a imposé une radiation temporaire d’un an. Il a également imposé des radiations temporaires de trois mois parce que le travailleur social n’avait pas avisé le secrétaire de l’Ordre des accusations dont il faisait l’objet.

Pornographie juvénile

Dans une décision du 20 avril 20239, le travailleur social exerçait dans une équipe Crise-Ado-Famille-Enfance (CAFE). Il était accusé au criminel d’accès à la pornographie juvénile et de possession de pornographie juvénile. Voici quelques extraits de la décision disciplinaire :

« Dans le cas du travailleur social, les qualités essentielles liées à l’exercice de la profession sont exigeantes à l’égard de leurs membres pour des infractions visant à sanctionner la corruption de mœurs. »10

« Le travailleur social intervient auprès d’une clientèle souvent vulnérable et ayant besoin d’un grand soutien. […] Or, l’intervention d’un travailleur social suppose l’existence d’un lien de confiance important en raison du caractère très personnel et délicat des informations que ce dernier doit obtenir et des interventions effectuées par la suite. »11

« […] le fait pour un travailleur social de faire l’objet d’accusations en lien avec de la pornographie juvénile tétanise son intervention auprès des enfants et des adolescents. Le lien entre les infractions reprochées et la profession de travailleur social appelé à intervenir dans l’équipe CAFE est clair. »12

Aucune information ne permettait de conclure qu’un usager de l’établissement était impliqué dans la production de la pornographie juvénile. À ce sujet, le Conseil de discipline a écrit :

« […] permettre à un travailleur social faisant l’objet de telles accusations de continuer à rendre des services à ces clients apparaît contraire aux valeurs devant animer tous les membres de la profession.

En outre, on voit mal comment un travailleur social, dans un tel contexte, pourrait intervenir après (sic) de tout client dans le cadre d’une relation d’aide alors qu’un lien de confiance doit être établi et qu’il fait l’objet d’accusations criminelles relatives à la corruption de mœurs. »13

Le Conseil de discipline a ordonné la suspension immédiate provisoire du droit d’exercer la profession et du droit d’utiliser le titre réservé14.

Fraude d’une valeur de plus de 5 000 $

Après avoir pris connaissance de l’accusation d’une travailleuse sociale au criminel pour une fraude d’une valeur dépassant 5 000 $, le Conseil de discipline a conclu, dans sa décision de novembre 202315, à un lien étroit entre l’infraction concernée par l’accusation criminelle et l’exercice de la profession. La travailleuse sociale détenait un poste dans un Centre d’hébergement et de soins de longue durée (« CHSLD »). Les victimes présumées n’étaient pas des clients. Citant le Tribunal des professions, le Conseil a rappelé que l’existence de ce lien s’impose s’il s’agit « de gestes qui, s’ils avaient été posés dans l’exercice de la profession, auraient constitué sans équivoque des infractions disciplinaires graves »16. Le Conseil a relevé que la clientèle d’un CHSLD est âgée, en perte d’autonomie et peut se trouver dans une situation de vulnérabilité. Voici deux passages de la décision du Conseil :

« Aussi, les faits à l’origine de la poursuite criminelle […] heurtent de plein fouet toutes les valeurs fondamentales, les attributs et les qualités requises pour l’exercice de la profession de travailleuse sociale. »17

« Lorsqu’une travailleuse sociale est visée par une accusation criminelle relative à la fraude, permettre que celle-ci puisse continuer d’exercer sa profession serait de nature à miner la confiance du public envers les membres de l’Ordre. Le public pourrait percevoir que les mesures nécessaires ne sont pas prises afin d’éviter qu’un membre, qui réalise notamment des évaluations psychosociales de personnes dans le cadre de régime de protection du majeur ou de mandat de protection, et qui est visé par une accusation criminelle puisse continuer à offrir ses services au public. »18

La travailleuse sociale s’était engagée volontairement à limiter sa pratique pendant les procédures pour s’abstenir d’agir auprès des usagers du CHSLD pour tout ce qui concernait les aspects financiers et économiques de leur vie et à soumettre en supervision professionnelle tous les documents réalisés dans le cadre de l’évaluation psychosociale d’usagers du CHSLD. Le Conseil de discipline a pris acte de cet engagement et a ordonné à la travailleuse sociale de s’y conformer.

Conclusion

Trois des cinq décisions abordées dans ce texte illustrent que dans certaines circonstances, des mesures de protection du public peuvent être nécessaires même quand l’infraction criminelle concernée n’a pas visé des clients et même si les gestes ont été posés dans le cadre de la vie privée. Ainsi, des infractions criminelles commises dans un contexte de violence conjugale peuvent nécessiter des mesures de protection du public. Il en va de même pour les crimes de nature économique.

Si la personne concernée n’avise pas l’Ordre de ses verdicts de culpabilité criminelle ou de ses accusations criminelles passibles de plus de cinq ans, elle s’expose par ce seul fait à être radiée temporairement par le Conseil de discipline, en plus de la mesure de protection du public qui serait nécessaire par ailleurs. Par la récente entente avec le DPCP, l’Ordre s’est donné des moyens supplémentaires pour découvrir l’existence de ces accusations ou de ces verdicts.

Le bureau du syndic analysera évidemment chaque situation au cas par cas. Les précédents disciplinaires résumés ci-dessus éclaireront cette analyse.

Dans un prochain article, nous aborderons la question de savoir si nos professions procurent des occasions de commettre des infractions déontologiques à caractère économique.


Références :

1 Code des professions, art. 59.3. (https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/C-26?langCont=fr#se:59_3)

2 Les infractions criminelles sont des infractions prévues au Code criminel. Elles sont jugées par les tribunaux de droit commun. Les infractions déontologiques sont des infractions au Code des professions, au Code de déontologie ou aux autres règlements de l’Ordre. Elles sont jugées par le Conseil de discipline de l’Ordre.

3 Étienne Calomne, syndic c Patrice Baron, dossier 37-10-006. Cette décision peut être consultée au https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=D34484064CD98C0DBBB5C7206F669CB007FED57D90F3A2D8DBDB4CEDE0093C3C

4 Il s’agissait à l’époque de l’article 3.02.08 de l’ancien Code de déontologie, remplacé depuis par l’article 13 du nouveau Code de déontologie. (https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/C-26, r. 286.1 /20201101?langCont=fr#se:13)

5 Paragraphe 17 de la décision sur culpabilité. La personne poursuivie est nommée intimée et le poursuivant est le syndic.

6 Marcel Bonneau, syndic c Mélanie Bouchard, dossier 37-15-017. Cette décision peut être consultée au https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=7EC7F7EE7B4BE480ECA63867CB5621765AB27A5DFEA27963824C77D4280CC312

7 Mélanie Pin, syndique adjointe c D. L., dossier 37-21-111. Cette décision peut être consultée au https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=462B1D9B3947866469E115B322C2EF596C05DBA45573BFB5490E6D266D96DFD1

8 Paragraphe 54 de la décision.

9 Mélanie Mercure, syndique adjointe c Justin Gauvin-David, dossier 37-23-143. Cette décision peut être consultée au https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=1C1B87D0FDCFFA2BF3A31F44C274FDCA0355F41AAAA6E13E130FF598DDBE5551

10 Paragraphe 37 de la décision.

11 Paragraphe 39 de la décision.

12 Paragraphe 42 de la décision.

13 Paragraphes 44 et 45 de la décision.

14 Dans ce dossier, le tribunal ne s’était pas encore prononcé sur la culpabilité; dans ce cas, la mesure de protection du public a nécessairement un caractère provisoire pendant que les procédures criminelles suivent leur cours.

15 Mélanie Mercure, syndique adjointe c L.M., dossier 37-23-161. Cette décision peut être consultée au https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php?ID=403438A213FB23DECEA9C151252849DE341EA2B5388AD21EEC079E133785B28C

16 Paragraphe 34 de la décision, citant Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, 2018 QCTP 60.

17 Paragraphe 38 de la décision.

18 Paragraphe 43 de la décision.