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Se parler de la pauvreté dans une société riche, c’est nécessairement revisiter le rapport qu’on a avec la richesse et les inégalités. Les deux exercices ci-dessous ont été proposés comme déclencheurs dans bien des animations.
EXERCICE 1 : Penser à une richesse qui compte pour vous.
EXERCICE 2 : Penser à ce qui vous fait le plus mal avec les inégalités.
Une constante revient dans les réponses : l’argent n’est pas souvent mentionné parmi les richesses qui comptent et pratiquement tout le monde peut exprimer un malaise relatif aux inégalités.
Pourtant dans la société québécoise comme dans une majorité de sociétés, l’argent dont on dispose par son revenu est la clé qui permet de pourvoir à ses besoins, de survivre, vivre et bien vivre. Ce revenu, un déterminant social de la santé important, voire le plus important, provient généralement de l’emploi, mais aussi des transferts, de la propriété et des placements. La prospérité et le bien-être sont en général évalués à la lumière d’un indicateur monétaire qui comptabilise tout ça : le Produit intérieur brut ou PIB.
Qu’arrive-t-il quand on ne parvient pas à trouver sa place dans cet univers, ou quand celui-ci ne nous fait pas beaucoup de place? En 1998, à l’occasion du Carrefour de savoirs sur les finances publiques, des personnes en situation de pauvreté qui se préparaient à un dialogue avec des fonctionnaires du ministère des Finances du Québec ont trouvé cet univers trop restreint pour représenter ce qu’elles vivaient.
Elles ont mentionné toutes sortes de richesses qui débordent du cadre monétaire. Elles ont imaginé le Produit intérieur doux pour parler de toute la richesse produite sans passer par l’argent, et la Dépense intérieure dure pour parler des situations où des gens et des communautés doivent prendre dans leur santé et leur espérance de vie parce l’argent n’est pas là. Elles ont imaginé les dollars vitaux, qui servent à survivre, les dollars fonctionnels, qui servent à vivre et bien vivre, et les dollars excédentaires, superflus ou gonflables, qui viennent en plus. Elles ont réalisé que les dollars vitaux sont en général des dollars locaux alors que les dollars excédentaires sont plus facilement fuyants. Bref elles ont dessiné un cadre plus large, monétaire et non-monétaire, dans lequel elles pouvaient s’inclure, et qui posait la question du doux et du dur.
Il y a là une invitation à déborder du cadre restreint d’une économie de marché centrée sur le PIB, sans pour autant le perdre de vue. Vivre la pauvreté, à tout le moins la subir, c’est nécessairement vivre du dur et du manque dans le monétaire et le non monétaire, même si on contribue à produire de la richesse de toutes sortes de façons. Et c’est aussi produire du doux quand même, même si celui-ci n’est pas comptabilisé.
Avancer vers un Québec sans pauvreté suppose d’élargir le cadre de référence pour s’occuper du fric, du doux et du dur.
EXERCICE 3 : Rencontrez-vous, dans vos interventions professionnelles ou comme citoyen·ne, des situations qui vous amènent à vous préoccuper de la répartition du fric, du doux et du dur dans la société? En quoi?
D’une société en échelles sociales à une société qui s’en parle
En 2003, un nouveau groupe de personnes en situation de pauvreté s’est intéressé cette fois à la couverture des besoins essentiels pour se retrouver constamment avec des questions d’échelles : de revenus, de statut, de moyens pour vivre.
Une image est arrivée pour représenter ce qui était vécu (cliquez ici pour plus de détails), celle d’une société sur un palier d’où partent à chaque bout un escalier roulant. À un bout l’escalier roulant monte avec les gens qui quittent le palier. Il leur facilite l’ascension. À l’autre bout, l’escalier roulant descend pendant que des gens essaient de le gravir pour atteindre ou rattraper le palier. Il est bien sûr question, ici, de facteurs systémiques et structurels. Cette image a donné lieu à une rencontre mémorable avec des parlementaires de l’Assemblée nationale du Québec, où des personnes en situation de pauvreté leur ont dit en substance dans une déclaration intitulée Le droit de nos droits : « Dans un système comme celui-là, sur quoi faut-il agir en premier ? Faut-il s’acharner sur les personnes pour qu’elles arrivent à monter l’escalier qui descend ? Ou faut-il s’occuper des escaliers? ».
Tendre vers une société sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde, dans un univers en échelles sociales et escaliers roulants programmés pour accentuer les écarts est une aventure pour le moins improbable.
Il y a là un beau défi pour le travail social.
EXERCICE 4 : Où sont les escaliers roulants qui montent et qui descendent dans la société québécoise? Dans votre milieu? Dans vos sphères d’activité?
EXERCICE 5 : Êtes-vous amené·e, dans vos fonctions ou autrement, à monter dans des escaliers roulants qui descendent ou à inciter des gens à le faire? À agir sur les escaliers? Comment? En quoi?
En 2012, Kate Raworth a proposé une autre façon d’envisager le vivre ensemble en direction de sociétés plus justes et plus sûres. Et si l’idée était plutôt de se retrouver dans la bande passante d’une sorte d’anneau où le bien vivre est mieux partagé entre un plancher social qui en dessine la limite intérieure et un plafond environnemental qui en dessine la limite extérieure? La représentation de l’idéal à viser pour un développement économique inclusif et durable change alors : personne dans le trou, personne au-delà du plafond. Aux critiques disant que l’économie suppose la croissance, d’autres images sont ainsi venues pour rappeler que notre commune condition humaine se situe souvent entre deux limites. Notre corps, par exemple, ne peut vivre que si sa température reste entre un petit nombre de degrés, ni trop chaude ni trop froide. En deçà comme au-delà, la survie est impossible. À quoi ressemblerait une société qui trouve les moyens de mieux partager son potentiel de chaleur humaine et de cultiver une convivialité du milieu?
EXERCICE 6 : En quoi la pratique du travail social, et/ou de votre expertise particulière, peut-elle contribuer à une convivialité du milieu et à réduire ainsi les inégalités?
Loin ou proche? Joindre les deux bouts
Le mot milieu réfère aussi à l’endroit où on est : nos milieux de vie, nos milieux de travail. Dans nos milieux, au quotidien, la pauvreté prend la forme de manques concrets qui affectent la vie de personnes et de communautés réelles. Les inégalités sont facilement tues, taboues ou soumises à des rapports de pouvoir. Et les règles du jeu qui les génèrent peuvent sembler hors de portée.
Il peut sembler plus facile et plus secourable de chercher comment aider directement les personnes qui peinent à monter les escaliers qui descendent que de s’occuper des escaliers. Pallier aux manques, offrir une écoute, des alternatives, des soutiens, des formations, de l’intégration, défendre les droits individuels dans le système tel qu’on le connaît est nécessaire.
Ce type d’aide de première ligne centrée sur les personnes en situation de pauvreté, de marge, d’exclusion, ne résout toutefois pas le problème des escaliers, qui suppose de prendre conscience que nous sommes toutes et tous concerné·e·s par les règles du jeu qui contribuent à générer ces situations. Et que nous pouvons agir pour modifier ces règles.
Agir ainsi suppose de mettre têtes et cœurs ensemble, de croiser les expériences, les savoirs, les compréhensions, les pouvoirs, de remonter aux causes des manques, de constater leurs conséquences, de nommer des valeurs communes et de proposer des solutions pour évoluer collectivement vers des règles qui peuvent agir sur le sens des escaliers et contribuer à générer du milieu bon à vivre pour tout le monde.
Souvent à cette étape, on peut sentir de l’impuissance, comme si ce problème était trop difficile à régler et trop loin de son pouvoir d’agir, un peu comme dans certains schémas concentriques de l’approche écosystémique où le microsystème est à la portée et le macrosystème semble loin et inaccessible. Peut-être y a-t-il aussi d’autres façons plus organiques, voire plus narratives, d’apercevoir ces différents systèmes et leur écosystème.
Dans nos histoires de vie, les causes proches et les causes distantes se rejoignent. Les escaliers roulants sont à côté de chez nous. Le système économique aboutit au guichet automatique qu’on fréquente. Les nouvelles, les discours et les annonces arrivent dans nos maisons par les journaux et les écrans. Et les décisions budgétaires affectent les portefeuilles, les services et la qualité de vie qu’on se donne au quotidien. Aussi bien joindre les deux bouts.
EXERCICE 7 : Penser à une situation problématique qui touche à la pauvreté, aux inégalités et/ou à l’exclusion sociale dans votre milieu de vie, de travail, de pratique. Comment les causes proches et les causes plus larges se rejoignent-elles dans la vie concrète?
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