Aspect 1 – Une histoire de luttes et de solidarités fondée sur les droits

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. […] Considérant que les États Membres se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales. […] Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement. […] Article premier. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Déclaration universelle des droits de l’Homme, 1948.

« Il faut rêver logique. »

Yvette Muise, 1997.
Phrase reprise dans le préambule de la proposition de loi citoyenne mise de l’avant par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté et un large réseau citoyen en 2000.

Cette affiche du Collectif pour un Québec sans pauvreté, dont la photo a été prise en 2002, a été vue sur bien des murs depuis. Elle rappelle à quel point avancer vers une telle société ne vient pas de soi et doit se gagner morceau par morceau depuis la société dont on arrive jusqu’à la société où on veut aller. C’est un chemin qui part de la gouvernance et de l’économie telle qu’elle est vers la gouvernance et l’économie qu’on voudrait.

Elle rappelle aussi tout ce qu’il a fallu de luttes et de débats dans notre société, au cours du vingtième siècle, pour ajouter aux solidarités locales et informelles des solidarités organisées dans un État de droits voulus pour toutes et tous.

Les catastrophes de l’histoire et les crises économiques ont rendu bien clair qu’on ne peut se fier aux lois des marchés pour distribuer équitablement la prospérité résultant des ressources disponibles et de l’activité humaine. Une gouvernance attentive aux droits de toutes les personnes ne peut être l’apanage d’une minorité possédante. Elle suppose des règles en conséquence.

C’est ainsi, à travers les avancées, les reculs, les débats et les actions, que le droit de vote a été élargi à l’ensemble des citoyens, puis des citoyennes. C’est ainsi que les syndicats et les groupes sociaux ont gagné des normes minimales du travail, des coopératives, de la sécurité d’emploi, des protections face au chômage, et le développement de l’économie sociale. C’est ainsi qu’il est devenu peu à peu normal de disposer d’un filet de sécurité sociale, avec des allocations familiales, de l’aide financière de dernier recours, une sécurité de la vieillesse, une assurance parentale. C’est ainsi, très souvent à partir d’initiatives citoyennes, que le Québec de la révolution tranquille s’est donné un système public d’éducation, de santé et de services sociaux, des normes environnementales, une préoccupation de développement durable, des services de garde, et diverses politiques visant une meilleure intégration des diverses problématiques qui font obstacle au bien vivre.

Ces avancées réelles et substantielles ont commencé pendant une période économique où les politiques fiscales et les choix politiques des « trente années glorieuses », au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, favorisaient une certaine déconcentration de la richesse et une meilleure distribution du revenu dans la société. De leur côté plusieurs groupes de défense des droits se sont formés parallèlement aux transformations de la révolution tranquille et se sont donné des regroupements pan-québécois efficaces, dès le milieu des années 1970, comme le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) ou le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), pour ne citer que ceux-là. Ces regroupements ont développé une expertise importante. Ils ont contribué et contribuent encore à maintenir la pression et la vigilance citoyenne nécessaire à l’action transformatrice.

Depuis les années 1980, avec le déploiement de l’idéologie néolibérale qui est venue réagir à ces poussées d’émancipation, nos sociétés font face à une tendance lourde de reconcentration des pouvoirs et de la richesse monétaire.

Cette tension entre les luttes citoyennes et les lobbys corporatifs a donné lieu depuis aux dynamiques par avancées et reculs qu’on continue d’observer au Québec à ce sujet.

D’une part, les reculs annoncés ou réalisés sur la protection du revenu et de la dignité des plus pauvres, notamment à l’aide sociale et à l’assurance emploi, ont conduit à la mise en place de coalitions populaires et syndicales qui se sont succédées au cours des années 1980 et 1990 : de Solidarité populaire Québec à la Marche des femmes du pain et des roses en 1995, devenue ensuite la Marche mondiale des femmes, à la formation, en 1998, après un Parlement de la rue d’un mois à l’automne 1997, du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, devenu ensuite le Collectif pour un Québec sans pauvreté, après la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2002.

D’autre part, et l’application de cette loi s’en est ressentie, après les sommets socio-économiques de 1996, diverses politiques sociales et fiscales, incluant des baisses d’impôt importantes depuis le début des années 2000, des mesures de resserrement des services et du budget de l’État, et des augmentations importantes dans la rémunération des plus riches, dont celle des médecins à partir de la fin des années 2000, ont contribué à ramener à l’avant-plan l’idéologie de la responsabilisation individuelle et du chacun pour soi, et à reconfigurer divers dispositifs du pacte social et fiscal en conséquence. Ce qui a conduit à de nouvelles coalitions, dont celles du printemps 2012, et le mouvement actuel pour un salaire minimum à 15$.

Le pacte social et fiscal tel qu’on le connaît en 2018 est redevable de toutes ces décennies de pas en avant sur certains points, par exemple pour les politiques familiales, et de pas en arrière sur d’autres, par exemple en incitant différemment à l’emploi selon la position des gens dans l’échelle des revenus : par des avantages accrus, plus haut dans l’échelle, et par des contraintes accrues, plus bas dans cette même échelle ou en dehors d’elle.

Dans ce contexte, attirer l’attention sur les comportements des plus pauvres ressemble à cette personne qui a perdu ses clés et qui les cherche sous un lampadaire, non pas parce que ses clés sont là, mais parce qu’on y voit plus clair! Il est facile de s’attarder aux manquements des plus pauvres, constamment sous le feu des projecteurs, mais où sont les clés d’un Québec sans pauvreté, riche pour tout le monde, riche de tout son monde? Si les règles mêmes du jeu collectif de la prospérité distraient l’attention, ferment des portes et contribuent à reproduire la pauvreté, les inégalités de revenus et l’exclusion, il importe de connaître ces règles et d’agir dessus, voire de changer ou ajouter certaines clés.

 

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