Dossier spécial

Les déterminants sociaux de la santé

Les petits gestes qui font du bien


Par

« Le but de l’éducateur n’est plus seulement d’apprendre quelque chose à son interlocuteur, mais de chercher avec lui les moyens de transformer le monde dans lequel ils vivent. »
– Paulo Freire (1974) –

Pointe-Saint-Charles est un quartier traversé par des enjeux sociaux de toutes sortes. Le quartier obtient régulièrement la palme des réalités de la défavorisation et est continuellement représenté dans les cartes identifiants les secteurs les plus pauvres sur l’île de Montréal.

Comment comprendre que malgré tout, loin de s’isoler, les citoyens de la Pointe démontrent toujours combativité et solidarité dans leurs luttes, et, du coup, mettent sur pied des initiatives d’entraide et de soutien qui agissent sur les réalités vécues? Le projet Les petits gestes qui font du bien, porté par le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles, avec la collaboration de la clinique communautaire, témoigne de l’héritage des pratiques de « pure culture d’éducation populaire » soulignant la volonté citoyenne d’agir concrètement sur ses conditions de vie à court, moyen et long terme1. On comprendra que nombreuses sont les contraintes liées à l’activité physique dans un quartier considéré comme un « désert alimentaire ».

Depuis ses débuts, le Carrefour observe que les idées partagées, les projets initiés et les activités voulues révèlent concrètement l’importance des déterminants sociaux de la santé sur la vie des participants.

Durant l’année de démarrage du projet (2013-2014), une pratique de recherche-action a été accomplie. Il y a eu un travail d’identification des besoins, des expériences, des forces et des obstacles des participants afin d’ancrer concrètement les bénéfices de l’activité physique dans leur vie. Cette année (2014-2015), la démarche entamée est en continuité avec les résultats précédents, mais est bonifiée par une force revendicatrice qu’ils ont soulevée : « Nous ne voulons plus nous faire dire quoi faire comme activité physique! On est tanné! On veut qu’on reconnaisse ce qu’on fait déjà dans une journée! Par exemple, monter et descendre des marches pour sortir de notre appartement, pour se rendre au Métro ou à l’arrêt d’autobus, faire des exercices d’étirement et de relaxation le soir avant de se coucher, etc. On veut revendiquer ce qu’on fait dans notre quotidien! On veut démontrer que « chaque petit pas » que nous faisons dans notre quotidien est significatif pour nous. Au bout d’une semaine ou d’un mois, on a fait de « grands pas » dans nos vies ».

Ces personnes, touchées par une précarité économique et des conditions de vie (physiques et mentales) qu’ils n’ont pas souhaitées, se donnent donc le droit de faire des activités physiques selon leurs moyens. Il s’agit de valoriser ce droit, dénominateur commun du groupe. Comme organisateur communautaire, il faut être vraiment à l’écoute de ce qui se dégage des discussions afin de soutenir concrètement les personnes en dehors de toute stigmatisation. L’expérience de la démarche collective du Groupe des Petits Pas est fructifiante : sensibilisation aux difficultés individuelles, sentiment d’appartenance, apprentissage du travail en équipe, gestion du droit de parole, transfert de connaissances, conscientisation du groupe, distribution de tâches, etc. Ce processus est à la fois dynamique, organique et organisé. C’est ainsi que les participants gagnent du pouvoir sur leur vie et peuvent agir avec plus de confiance sur les enjeux (sociaux, économiques et politiques) sur lesquels ils désirent intervenir.

À partir de ses actions et d’une volonté de poursuivre son élan, le groupe veut sensibiliser la communauté de Pointe-Saint-Charles à leurs batailles quotidiennes. L’action collective prendra la forme d’un bottin intitulé « Dans les pas d’une participante du Carrefour! » qui sera dévoilé prochainement. On pourra y découvrir les trajets de marche de tous les participants ayant collaboré ainsi qu’un petit mot de leur cru.

Depuis deux ans, le projet a permis de rejoindre plus de 300 personnes. Cela inclut des participants de plusieurs groupes du quartier, d’employés et de comités de Pointe-Saint-Charles.

Considéré par plusieurs comme étant « leur deuxième chez soi », le Carrefour d’Éducation Populaire est un espace où les citoyens se sentent valorisés et reconnus. Les Petits gestes qui font du bien ont agi sur le moral des troupes en cette période d’austérité. C’est d’autant plus vrai maintenant puisque depuis plus de trois ans, six centres2 sont menacés dans leur survie. Cette menace de fermeture est comprise par les participants comme étant une tentative d’en limiter l’accès. Même si le ministre de l’Éducation du Québec, François Blais, vient d’annoncer un répit d’une année, les enjeux de financement de ces ressources, pourtant essentielles en terme d’alphabétisation et d’éducation aux adultes, demeurent entiers. Les participants sont mobilisés et conscients des enjeux. Soyez assurés qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot.