Dossier spécial

Les déterminants sociaux de la santé

Quand la culture et l’identité entrent en jeu


Par et

Tracey Fournier, travailleuse sociale, œuvre depuis plusieurs années auprès des communautés autochtones de l’Abitibi-Témiscamingue, particulièrement au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Elle est également chargée de cours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Pour elle – et pour les personnes auprès desquelles elle intervient – les déterminants sociaux de la santé sont bien sûr une réalité quotidienne, mais, précise-t-elle, lorsqu’il s’agit des Premières Nations, ces déterminants sociaux prennent un autre visage, représentent une réalité bien différente. En fait, explique-t-elle, la grande majorité des problématiques auxquelles elle est confrontée au quotidien sont en lien direct avec les problèmes structurels de ces communautés, lesquels se manifestent par un manque de services, une situation de pauvreté endémique, une perte de confiance en l’avenir, etc. « C’est peut-être moins évident pour la population des grands centres, mais des évènements historiques comme les pensionnats pour jeunes Autochtones et le manque d’écoute des gouvernements face aux conditions de vie et aux ambitions légitimes des Autochtones font en sorte qu’ils se sentent, encore aujourd’hui, comme des citoyens de second ordre ».

Le principal défi : les différences culturelles

Tracey Fournier croit fermement que la méconnaissance de la culture autochtone est un obstacle majeur. À cet effet, elle cite l’application de lois et de programmes selon les valeurs et les normes de la majorité, sans tenir compte des particularités culturelles. Elle nous propose cet exemple : Au Québec, on découvre les vertus de la médiation, alors que dans ces communautés, la médiation, comme mode de résolution de conflits, c’est une réalité depuis toujours. « Pour eux, la justice punitive n’existe pas. Ils s’attardent plutôt aux dommages causés à la relation entre les personnes concernées, l’idée étant de réparer la relation en travaillant tant avec la victime qu’avec l’agresseur. Comment chacun a-t-il vécu la situation? Que proposent-ils pour réparer la relation? »

Lorsque que le problème ou le conflit implique un enfant, un adolescent, poursuit Mme Fournier, tous les membres de la famille et de la famille élargie – sont impliqués, concernés. Parce que pour eux, la famille a une importance fondamentale. Bref, en milieu autochtone, on semble d’accord avec le proverbe sénégalais voulant qu’il faille toute une communauté pour élever un enfant!

Vaincre la méfiance, gagner la confiance

Pour intervenir efficacement auprès de ces personnes, il est essentiel de gagner leur confiance puisqu’au départ ils sont méfiants face aux intervenants qui connaissent mal ou ignorent leur culture, ajoute Tracey Fournier : « Toutes nos institutions, même l’hôpital, représentent pour eux la culture dominante, la culture et les valeurs qui leur sont imposées. » Elle insiste sur cet élément : « il faut adopter, développer une approche plus large, faire preuve d’une véritable ouverture d’esprit et cesser de penser qu’on a affaire à des gens dépourvus de moyens et qui auraient tout à gagner à  adopter nos valeurs, notre culture, nos façons de faire. C’est faux et c’est voué à l’échec ». Selon elle, nos grilles d’évaluation de la « normalité », dans toutes ses manifestations de la vie quotidienne, doivent être mises de côté. Il faut développer de nouvelles grilles en fonction de leur culture : « il faut cesser d’analyser les situations avec nos propres références culturelles. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est essentiel. Comprendre cette culture, c’est la respecter! »

Retrouver le chemin de la santé

Tracey Fournier est catégorique sur ce point. Il est essentiel de construire les interventions en fonction de cette culture plutôt que de tenter d’adapter tant bien que mal ce que nous avons appris pour intervenir auprès de la majorité. « Les outils, les programmes, tout ce qui a été développé pour la culture dominante ne peut s’appliquer à eux. Ça ne marche pas, ils n’y croient pas, ne s’y reconnaissent pas. » Ainsi, l’intervention doit viser à retrouver le chemin vers la « santé ». Et c’est précisément ici que se fait le lien avec les déterminants sociaux de la santé. « Non pas nos déterminants sociaux de la santé, mais bien les leurs! » insiste Tracey Fournier qui ajoute que pour les Premières Nations, la normalité c’est la santé des quatre composantes d’une personne : les émotions, le mental, le physique et le spirituel. « C’est le concept de la roue de la médecine ». Ainsi, les interventions doivent prendre en compte ces quatre composantes de la personne. « Si l’approche est uniquement institutionnelle, ils ne suivent pas, n’y croient pas. Il faut réaliser et accepter qu’on ne réussira jamais à faire entrer un carré dans un rond! Il faut abandonner toute tentation d’être paternaliste et accepter d’accompagner, tout simplement, avec une attitude ouverte »

Les Autochtones sont très spirituels, observe Mme Fournier. Ils croient à quelque chose de plus grand qu’eux et qui peut les aider, ils croient qu’ils ne sont pas seuls. Selon elle, cette spiritualité est intimement liée à la relation particulière qu’ils entretiennent avec la nature, qu’ils associent à cette spiritualité.

Quels sont les véritables besoins des Autochtones?

À cette question, Mme Fournier répond sans la moindre hésitation : « Être considérés comme des citoyens à part entière, comme faisant partie prenante de la société, bref, ne plus être considérés comme objets, mais bien comme sujets ». Notre travailleuse sociale croit toutefois que l’avenir s’annonce meilleur pour les communautés Autochtones. Il y a quelques années à peine, poursuit-elle, on sentait une fermeture face à la réalité Autochtone. Les préjugés étaient profondément ancrés, même chez certains profs d’université. Mais maintenant, on sent une véritable ouverture, un désir de rapprochement, de respect. Autre vecteur potentiel de changement, l’UQAT accueille de plus en plus d’étudiants Autochtones en services sociaux. Déjà, au sein de la collectivité, le Centre d’amitié Autochtone s’est forgé une crédibilité auprès de tous les intervenants. « Souvent, le personnel du centre est consulté avant que des décisions ne soient prises. On progresse! » se réjouit- elle.

Intervenir auprès des communautés Autochtones : privilège et opportunité

Mme Fournier est convaincue que pour une travailleuse sociale, l’intervention auprès des Autochtones est un privilège, une opportunité unique d’ouvrir ses horizons et de développer une approche multi- problématique. En guise de conclusion, Tracey Fournier insiste une dernière fois sur cet élément essentiel à ses yeux : « Il faut cesser de vouloir adapter nos façons de faire et accepter d’en développer de nouvelles. On a fait plusieurs petits pas, mais je suis confiante qu’avec cette approche on en fera des grands! Il faut croire en eux, les impliquer, les écouter et les accompagner. En fait, il faut accepter de placer l’Humain avant tout! » Que dire de plus?