Jeanne, orthopédagogue, dessert deux écoles montréalaises situées à 40 kilomètres l’une de l’autre. Elle œuvre à la réussite des élèves, mais doit faire de longs trajets dans une circulation dense pour effectuer son travail.
Janine, infirmière scolaire, accepte un poste dans trois écoles. Trois porte-clefs et trois clés USB plus tard, il lui faut s’organiser pour répondre aux nombreux besoins de chaque milieu auquel l’indice maximal de défavorisation sociale a été attribué.
Jeannette, travailleuse sociale, se voit assignée à quatre écoles : une primaire, une secondaire, deux écoles de raccrocheurs. Depuis quatre ans, elle aura desservi sept écoles, fait équipe avec autant de professionnelles et de directions différentes. Elle démontre sa capacité d’adaptation et son engagement, mais déménage et redéménage au gré des besoins de son organisation.
Le lien humain
Si Jeanne, Janine et Jeannette ont pour mission de travailler en partenariat les unes avec les autres en vertu de l’entente MELS- MSSS, effectuant dépistages, évaluations et suivis annuels, elles œuvrent à promouvoir l’égalité des chances et, ce faisant, participent chacune activement à contrer le décrochage scolaire. Elles partagent aussi le même a priori : le LIEN HUMAIN qui permet de faire la différence dans la vie d’un jeune. Pourtant, l’efficacité de leurs actes professionnels dépend autant de la qualité affective de ce lien que de la collaboration de l’équipe scolaire. Or, force est de constater que de telles conditions de travail ne facilitent pas un véritable partenariat. Si Jeannette a de plus la responsabilité, en tant que pivot, de faciliter les communications entre tous ses partenaires, (qui sont dispersés dans plusieurs milieux de travail) et les parents, qui ont eux aussi leurs horaires et leurs contraintes, imaginez le casse-tête… Elle court après chaque minute!
Est-il nécessaire de rappeler que la nature même du travail des trois J est incompatible avec les notions de précarité et de mobilité du personnel? Que la fatigue engendrée par de telles situations professionnelles affecte autant les milieux scolaires, les familles que les jeunes en suivi? Qui, travaillant dans ce milieu protégé qu’est l’Agence des services sociaux, connaît vraiment ce qu’elles vivent chaque jour et pourrait décrire les formes que prend cette fatigue au quotidien?
Transport de matériel, déplacements fréquents, lieux de travail non conformes aux normes de pratique en travail social, heures de dîner manquées, journées allongées, sollicitations en urgence de parents/profs/élèves, besoins tous azimuts, suivis matin-midi-soir, incluant à domicile, crises familiales, placements, situations de négligence parentale, de dépendances multiples, détresse alimentaire, sans parler de la misère humaine dont elles sont témoin… Ajoutez à cela la reddition de compte toujours plus intense à l’Agence et le compte y est : stress puissance 14, chaque jour.
Les risques sont connus et bien répertoriés chez les professionnels comme Jeanne, Janine et Jeannette : accidents, épuisement professionnel, insomnie, dépression, anxiété, sentiment d’être utilisée par le système plutôt que d’être utile au système. Augmentation du risque d’erreur professionnelle. Tel est le portrait peu reluisant des impacts de nos professions centrées sur le bien-être. Cherchez l’erreur!
Peut-on faire l’économie de cette réflexion lorsque nous constatons que les plus hauts taux d’épuisement professionnel se retrouvent justement chez les professionnelles comme Jeanne, Janine et Jeannette? Si les employées de l’État coûtent cher à l’État, qu’attendons-nous pour leur offrir des conditions de travail simplement plus réalistes?
Mes engagements
En tant que ministre de la Santé et des Services sociaux, je me ferai un devoir de :
- Favoriser des liens directs entre le personnel de première ligne et celui de l’Agence, via une plateforme technologique (une réelle tribune);
- Travailler en concertation avec le ministre de l’Éducation pour :
- améliorer les conditions de pratique des professionnels. Il en va de la pérennité du système de santé et de services sociaux et de la lutte au décrochage scolaire;
- dénoncer les aberrations du système de dotation et convaincre urbanistes, centrales syndicales et commissions scolaires d’innover en créant une dotation plus verte;
- analyser chaque dossier soumis au Protecteur de l’élève afin de mieux saisir les enjeux de parents malmenés par le système scolaire.
Je recommanderai également l’augmentation des droits de scolarité des enfants inscrits à l’école privée au prorata du gain des parents et réinjecterai ces montants dans les services psychosociaux du système de santé public. Je rappellerai aux médecins et notables québécois leur devoir citoyen, sachant que cette hausse tarifaire permettrait de garantir l’aide légitime aux enfants de parents moins scolarisés, analphabètes, réfugiés ou souffrant de problématiques de santé mentale.
Enfin, je protégerai davantage mon personnel en service social, en santé et en éducation et travaillerai à instaurer des principes d’équité sociale.