Dossier spécial

Les déterminants sociaux de la santé

Martin Dusseault, un travailleur social bien dans ses baskets!


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Bien dans mes baskets est un programme d’intervention psychosociale par le sport destiné à des élèves du secondaire. La médiation sportive par le basket-ball est utilisée pour rejoindre des jeunes aux prises avec des problèmes sociaux ou ayant un risque élevé de décrochage scolaire. Issue de la création d’une équipe de basket-ball par Martin Dusseault, un travailleur social œuvrant à l’école secondaire Jeanne-Mance, à Montréal, l’initiative est portée par le CSSS Jeanne-Mance. Seize ans plus tard, le programme aura rejoint plus de 500 jeunes1.

Martin Dusseault arrive au CSSS Jeanne- Mance en 1999 et se retrouve à l’école secondaire du même nom en tant que travailleur social, dans un quartier défavorisé et en milieu multiethnique. Il découvre rapidement que cette clientèle ne fréquente pas les services sociaux, mais « qu’elle se fait remarquer dans le quartier! ».

C’est là, sur le terrain de basket, que l’idée a germé!

En entrevue, Martin Dusseault nous confiera d’abord : « J’arrive là-dedans, comme jeune travailleur social, plein de rêves et de projets et j’adore le basket-ball. Je me retrouve donc rapidement sur le terrain de basket extérieur avec des jeunes Latinos, Haïtiens, Africains, etc. À la demande des jeunes, je propose à la direction de mettre sur pied une équipe de basket-ball, mais comme bénévole, non pas en tant que travailleur social. Permission accordée. Plus tard, j’obtiens également que le gymnase soit accessible aux jeunes tous les soirs, les fins de semaine, pendant l’été. Peu de temps après, plusieurs gars de l’équipe se confient à moi, mais je sens bien qu’ils ne s’adressent pas au travailleur social, mais au coach! Ça me permet cependant d’entrer dans ces familles… un coach, c’est pas menaçant! C’est donc là, sur le terrain, parmi les jeunes, que l’idée a germé. Le CLSC m’a permis de lancer le programme. C’est intéressant, ça a créé de la proximité, m’a-t-on dit. Je devrai cependant me lancer dans cette aventure à l’extérieur de mes heures de travail, comme bénévole. Pas de problème! ».

Deux ans plus tard, le CLSC considère que l’idée en vaut la peine; le programme permet de rejoindre une clientèle jeune, multiethnique qui, autrement, ne fréquente pas les services psychosociaux. En 2005, le programme prend véritablement son envol alors qu’une membre de la fondation CSSS Jeanne-Mance confie à Martin Dusseault qu’elle croit fermement que le sport garde les jeunes à l’école. Elle lui permet donc de faire l’acquisition de matériel, notamment des sacs de couchage, pour les jeunes, lors des tournois. « Jusque-là, je leur passais mes affaires! ».

« On s’est donc mis à réfléchir sur le programme comme tel, à partir des besoins du milieu » raconte-t-il : « on ne peut pas inventer un programme et l’imposer au milieu; je n’y crois pas. Il faut que ça colle au milieu, que ça fasse un sens pour les participants ».

Pourquoi ne pas utiliser notre vision de travail social de groupe avec une équipe sportive?

En plus d’offrir aux jeunes une activité sportive qui leur ressemble, le programme démontre rapidement sa capacité d’inter- venir individuellement et collectivement auprès d’eux. Il faut cependant concilier deux réalités : celle de l’école, pour qui l’éducation est la priorité, et le développe- ment psychosocial des jeunes à travers cette activité. Martin reconnaît que ce n’est pas toujours facile, mais qu’au fond tout le monde y gagne. Il réalise de plus en plus que le programme crée un pont pour rejoindre les jeunes, leurs familles, la communauté. « C’est clair, nous initions des changements sociaux. Rapidement, nous devenons des leaders quant à l’utilisation du sport comme outil d’intervention ».

Les jeunes participants ne sont pas sélectionnés uniquement en fonction de leurs habilités sportives, même si cette donnée entre en ligne de compte. Martin explique qu’il prend en compte le goût des jeunes de s’impliquer de façon intense dans le sport pour s’en servir comme levier social. « Le basket, culturellement, ça touche beaucoup les jeunes marginalisés, ceux qui fonctionnent difficilement dans la communauté et qui ont des problèmes scolaires. Le basket, pour eux, c’est l’élément rassembleur! »

L’approche psychosociale, toujours priorisée

Martin nous le répétera à plusieurs reprises : les déterminants sociaux de la santé sont au cœur du programme Bien dans mes baskets. « Le basket-ball est devenu rapidement un outil de persévérance et de réussite scolaire. En effet, décrocher un diplôme d’études secondaires a un impact majeur sur ces jeunes. Cela améliore leurs chances de trouver un bon emploi, d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles. Nous les aidons ainsi à acquérir du pouvoir sur leurs choix, des aptitudes pour mieux négocier leur choix de vie, pour gérer leurs comportements actuels et futurs. Bref, nous travaillons avec eux pour qu’ils se taillent une place au sein de la communauté. En leur ouvrant la porte au succès scolaire, on leur ouvre la porte sur une vie meilleure, pour eux et pour la communauté entière ». En ce sens, l’aspect psychosocial du programme est toujours mis à l’avant-plan. Bien dans mes baskets a notamment permis d’identifier des problèmes au niveau des habitudes alimentaires, de stress vécu par les jeunes et d’une foule d’autres problématiques qui ne sont devenues apparentes qu’au contact des jeunes via l’activité sportive. Martin ne s’en cache pas. Il ne croit pas à l’intervention purement individuelle ou de groupe : « Il faut toucher à tous les aspects, utiliser une approche systémique. Certains jeunes ont besoin de services individuels, alors que pour d’autres c’est l’approche de groupe ou encore l’intervention familiale qui seront plus efficaces. Nous touchons aussi l’intervention familiale et  le  volet  communautaire.  Nous travaillons également de près avec les enseignants et les autres entraîneurs- intervenants qui sont nos yeux et nos oreilles. Rien nest négligé ».

Un lien de confiance, de proximité

Martin Dusseault sait très bien qu’aux yeux des jeunes, il est toujours le coach, pas le travailleur social. « C’est ce qui colle à eux. C’est par l’entremise du coach que se tisse ce lien de confiance qui rend tout possible! » Ainsi, le coach nous confie que lors des tournois il voit et entend des choses qu’il n’aurait ni vues ni entendues au bureau. « Cette proximité et cette confiance mutuelle sont essentielles! ». Ainsi, tous les entraîneurs du programme – qui ne sont pas tous travailleurs sociaux – doivent être plus que des entraîneurs; ils doivent s’imprégner de l’esprit du programme. Martin compte sur eux pour alerter les professionnels lorsque nécessaire. « On ne leur demande pas de jouer au travailleur social, mais de nous référer les joueurs ou joueuses lorsquils détectent quoi que soit d’intérêt pour nous. En fait, nos entraîneurs, c’est notre première ligne! 

Une expertise de plus en plus reconnue, recherchée

Humblement, mais avec une fierté bien affichée, Martin Dusseault constate que l’expérience fait boule de neige, que d’autres écoles, d’autres quartiers s’inspirent de Bien dans mes baskets. « Nous n’avons pas une recette miracle, mais notre expérience peut certainement être transposée dans d’autres milieux, avec d’autres clientèles, d’autres sports ». Incidemment, plusieurs recherches ont été faites sur ce programme, ce qui contribue au transfert des connaissances. Martin Dusseault est toutefois prudent : « Ce n’est pas tellement la méthode, mais bien la philosophie qui est exportable. Cette approche doit répondre aux besoins du milieu, de la communauté. Ici, à l’école Jeanne-Mance, l’approche Bien dans mes baskets a été appliquée pour créer une équipe de cheerleaders chez les jeunes filles. Non seulement ont-elles glé leurs problèmes académiques, mais elles sont devenues championnes canadiennes! Réussite sportive, réussite scolaire et réussite sociale… que demander de plus? »

Des intervenants de New York, et d’autres d’Europe, se montrent particulièrement intéressés par le programme. Martin Dusseault s’emploie à créer un groupe de travail pour mener encore plus loin la réflexion sur la capacité d’induire des changements sociaux par le sport. Il est donc tout à fait réaliste d’envisager que sur un horizon pas si lointain, des milliers de jeunes seront de plus en plus… bien dans leurs baskets!

L’importance des déterminants sociaux de la santé

Pour Martin Dusseault, la prise en compte des déterminants sociaux de la santé est essentielle en travail social. Il en fait d’ailleurs la démonstration avec Bien dans mes baskets. « Les travailleurs sociaux œuvrent dans des milieux où leurs pratiques sont de plus en plus encadrées, rigides, fermées ». Pourtant, il incite tous les travailleurs sociaux à aller au-delà de ce cadre, à regarder plus loin : « Si j’étais demeuré dans le cadre imposé, Bien dans mes baskets n’aurait jamais vu le jour. Les besoins que je percevais touchaient des déterminants sociaux de la santé sur lesquels nous n’étions pas en mesure d’intervenir ». Passionné, Martin Dusseault poursuit encore : « Il faut se laisser imprégner par les gens, déceler leurs besoins. En creusant un peu, on découvre toujours des éléments sur lesquels on peut avoir un impact. Souvent, de petits gestes peuvent avoir une grande portée. Il faut se faire confiance, écouter son intuition et ne jamais renoncer! »

Ne jamais se laisser éteindre!

Comme bien des étudiants en travail social, Martin Dusseault a choisi cette profession pour changer le monde! Comme beaucoup de travailleurs sociaux, il constate que le système tente de plus en plus d’encadrer les travailleurs sociaux et leur pratique. Pourtant, il lance un cri du cœur : « Surtout, il ne faut pas se laisser éteindre! Le jour on renonce à changer le monde, on perd peu à peu la passion pour les gens, pour la profession ». Changer le monde, pour Martin Dusseault, c’est gagner de petites victoires, tous les jours, c’est changer le monde peu à peu, à son échelle, une personne à la fois. « Nous sommes notre principal outil de travail et pour être en mesure d’aider les autres, faut être fier de ce quon fait. En somme, il faut soi-même être bien dans ses baskets! »

En guise de conclusion, Martin Dusseault dira qu’il a eu la chance extraordinaire de pouvoir concrétiser sa vision de travailleur social. « Quand je parle à des intervenants qui veulent s’inspirer de notre programme, je sens que nous avons déteint sur eux. Les étudiants que je rencontre, à l’université, réalisent que ça peut aussi être ça, le travail social. On les influence! »

Bravo à Martin Dusseault, travailleur social, à tous les membres de son équipe, à tout le personnel et à tous les bénévoles impliqués et, surtout, merci aux jeunes, filles et garçons, de Bien dans mes baskets, pour nous avoir permis cette intrusion dans leur univers.