Dans un contexte où la réadaptation physique est l’objet principal d’intervention, il ne faut pas perdre de vue que c’est la personne, dans toutes ses dimensions, que nous devons considérer.
J’œuvre en réadaptation fonctionnelle intensive depuis 10 ans, auprès d’une clientèle ayant subi une amputation ou une blessure orthopédique grave. Je me suis sentie particulièrement interpellée par cette thématique parce que je constate, jour après jour, combien il est essentiel de tenir compte des déterminants sociaux. Nos interventions doivent être planifiées et ajustées en fonction de la situation économique (souvent précaire) de chaque personne, du handicap qui l’affecte, de l’accessibilité à son domicile, de l’environnement social, et de bien d’autres facteurs. Aussi, bien qu’ils ne soient pas liés au contexte immédiat de la personne, mais au contexte d’exercice professionnel, d’autres déterminants ont aussi un impact majeur, par exemple le réseau de la santé et des services sociaux ou encore la disponibilité des ressources. Il faut considérer l’ensemble de ces déterminants dans l’organisation des services et l’orientation au congé, mais aussi dans la façon d’accompagner le client.
Comme travailleuse sociale, j’accorde une importance particulière à l’environnement social de la personne, à ses conditions économiques et aux partenaires. Il est essentiel de s’affirmer face aux « pressions » entourant un congé de l’hôpital, surtout si certains déterminants propres au client peuvent faire une différence. Dans un contexte où la réadaptation physique est l’objet principal d’intervention, il ne faut pas perdre de vue que c’est la personne, dans toutes ses dimensions, que nous devons considérer. Aussi, il est primordial de faire valoir notre opinion professionnelle et notre lecture de la situation au sein de nos équipes interdisciplinaires, des partenaires et, par moment, de nos gestionnaires. Demander de retarder un congé de quelques jours peut faire une énorme différence dans la vie du client. Un dossier bien monté et complet sera plus facile à défendre et entraînera une réponse plus rapide et des résultats positifs au plan écosystémique. Voici deux exemples issus de ma pratique et illustrant bien ces principes.
Il y a quelques temps, j’ai eu une cliente âgée de 80 ans, souffrante et confinée à son fauteuil roulant. Elle avait toutefois la chance d’être privilégiée au plan économique grâce à un généreux fonds de pension. Considérant ces déterminants, mon rôle n’était pas de l’orienter vers des services d’hébergement public puisqu’elle pouvait opter pour la résidence de son choix, près de ses amis, dans l’environnement où elle avait vécu toute sa vie, de façon à atténuer la souffrance liée aux conséquences du handicap. Cette cliente était aussi entourée de ses enfants et petits-enfants, ce qui facilitait son adaptation. En équipe interdisciplinaire, j’ai pu démontrer l’importance et la nécessité de retarder le congé de l’hôpital de quelques jours, pour permettre à la cliente d’emménager dans sa résidence à la date permise pour éviter d’autres transitions.
Plus tard, j’ai eu une cliente âgée de 50 ans. Elle avait eu une amputation fémorale à la suite d’un cancer. Elle ne pouvait réintégrer son domicile car il n’était plus adapté à sa nouvelle réalité. Ses conditions économiques étaient précaires, mais elle était bien entourée au plan social. Il était impératif pour elle de trouver un logement accessible dans l’environnement qui lui convenait, pour une date précise : celle liée à son congé. De plus, il était d’une grande importance qu’elle puisse accueillir son chien dans son nouvel appartement. Chaque client a son propre rythme, ses propres résistances à s’engager dans un processus de changement. Un des logements visités convenait parfaitement à ma cliente, mais était trop onéreux pour elle. Par contre, il était possible de faire une demande de supplément au loyer en présentant un dossier tenant compte des déterminants sociaux. La demande fut acceptée. La cliente a pu quitter le centre de réadaptation vers ce nouveau lieu avec l’aide de ses proches et des partenaires du réseau. En mettant en évidence les déterminants les plus importants dans ce dossier et la possibilité de résoudre les problématiques afférentes, l’équipe interdisciplinaire a accepté de retarder le congé de quelques jours, ce qui a permis de diminuer l’anxiété de la cliente et de bien organiser les services au nouveau domicile.
Le système de santé et de services sociaux : un déterminant précieux
Malgré la restructuration actuelle du Réseau, je considère que, même si le contenant dans lequel j’exécute ma profession est en changement, je vais continuer de faire mon travail avec le contenu qui m’habite, celui de l’espoir. Pour conclure sur une note plus personnelle, il y a bientôt 15 ans, je survivais à une rupture d’anévrisme au cerveau en traversant un coma et de multiples complications. Le diagnostic annonçait un pronostic sombre : la mort ou des séquelles considérables. Dans les faits, il n’est resté presqu’aucune séquelle. Il est important pour moi de mentionner que le système de santé, malgré ses restructurations à travers le temps et les époques, ne comporte pas que des failles. Il est un déterminant de la santé qui peut faire une belle différence et qui permet d’avancer avec confiance et espérance.
Pistes d’intervention sur les déterminants sociaux de la santé
Il est clair que les déterminants sociaux de la santé ont une influence majeure sur la qualité de vie des personnes, sur leur santé en général et sur leur santé mentale. Mais comment prendre en compte ces déterminants sociaux de la santé dans nos interventions? Voici quelques pistes…
Interventions individuelles (tiré de l’Énoncé de position de l’Ordre)
- IDENTIFIER les déterminants sociaux de la santé impliqués en rapport avec les problèmes de santé vécus par la personne.
- FORMULER des hypothèses sur leur influence et leur importance relative et les partager avec la personne afin de lui fournir une compréhension de ce qu’elle vit et qui reflète les aspects sociaux impliqués dans ses difficultés.
- PARTAGER cette compréhension contextualisée de la situation de la personne avec les autres intervenants impliqués auprès d’elle afin de les aider à saisir l’impact des facteurs sociaux sur ses difficultés.
- CONVENIR avec la personne des cibles de changement en lien avec les éléments reliés à un ou à plusieurs déterminants sociaux de la santé.
- PLANIFIER les objectifs et les actions selon ce que la personne souhaite apporter comme changement dans les sphères de vie concernées et en fonction de ce qui est possible compte tenu de ses ressources personnelles et des ressources de l’environnement.