Contexte
La réforme de la santé et des services sociaux de 2004 confiait aux centres de santé et de services sociaux (CSSS) une responsabilité populationnelle qui devait s’exercer sur deux plans : l’accès aux services sociaux et de santé pour les personnes et familles dans le besoin et le maintien ou l’amélioration de l’état de santé de l’ensemble de la population d’un réseau local de services (RLS), notamment par l’action sur les déterminants de la santé. Pour s’acquitter de cette responsabilité, le CSSS de Jonquière, après consultation de l’ensemble des partenaires du RLS (organismes communautaires, établissements d’enseignement, municipalités, services et ministères, etc.), mit sur pied une structure participative formelle relevant de son conseil d’administration, le Conseil des partenaires, composé de 20 élus par des collèges électoraux selon les déterminants de la santé, afin de concerter la promotion- prévention et coordonner les actions intersectorielles. De plus, il mit en place sept tables de concertation cliniques afin d’assurer les trajectoires de services dans un réseau intégré de l’ensemble des ressources du RLS.
Les priorités d’action du Forum des partenaires
Avec le soutien de l’Agence de la santé et des services sociaux (ASSS) régionale et de l’Initiative de partage des connaissances et de développement des compétences (IPCDC), le Forum, réunissant l’ensemble des partenaires, a fait l’analyse du portrait de santé du territoire tout en bénéficiant d’une formation sur les compétences en matière de responsabilité populationnelle. Le Conseil des partenaires a piloté un projet commun visant à faire bouger les familles à l’occasion d’un Rendez-vous de la santé annuel. Le Cégep et le CSSS de Jonquière et Ville de Saguenay ont de leur côté piloté un projet de centre sportif familial, le Centre d’amélioration, de maintien et de promotion de la santé (CAMPS), accessible aux personnes et familles à faible revenu comme aux personnes avec des limitations physiques. Conçu comme un environnement favorable à la santé répondant autant aux besoins de leurs clientèles respectives qu’à l’ensemble de la population, ce projet intégré et de grande qualité technique a obtenu l’appui de nombreux acteurs du milieu sans toutefois encore gagner, malgré de nombreuses années de représentations, l’appui des gouvernements qui se sont succédés.
Depuis un an, le Forum des partenaires a priorisé la réussite des parcours scolaires et d’emploi chez les femmes de 18 ans et plus et chez les hommes entre 18-30 ans. Ce choix a été motivé par le taux de pauvreté et par le taux élevé de décrochage des jeunes adultes. Une étude effectuée en collaboration entre le Centre local d’emploi (CLE) et le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS) a révélé que le taux élevé d’abandon des différents parcours était relié à des problèmes de comportement, de santé mentale ou de consommation. Par ailleurs, l’on sait que les femmes rencontrent des obstacles supplémentaires liés à l’insuffisance de services de garde ou aux horaires contraignants. Un comité stratégique, puis un comité opérationnel, ont travaillé à mettre en place diverses solutions visant à améliorer le taux de succès chez ces groupes ciblés. Outre des trajectoires de services plus directes et une offre davantage intégrée (par exemple entre le CLE, le CSSS, la commission scolaire, les organismes d’employabilité), la coordination de services et des suivis plus étroits et intensifs, le projet pilote vise à mieux soutenir les participants dans l’utilisation des ressources de la communauté, tant celles qui peuvent contribuer à une meilleure réponse à leurs besoins primaires (sécurité alimentaire, logement, services de garde, etc.) que celles en mesure de les appuyer dans leurs efforts pour résoudre leurs problèmes (de fonctionnement, de consommation, de santé mentale, etc.) qui entravent leur projet de formation ou d’emploi. Comme on le sait, un emploi raisonnablement décent offre de meilleures chances de sortir du cercle vicieux de la pauvreté… et de la maladie.
Analyse-critique
Ces efforts locaux de concertation et de mobilisation intersectorielle sur les déterminants sociaux de la santé sont actuellement menacés de toutes parts :
- La création des CISSS et des CIUSSS déplace la responsabilité populationnelle au niveau régional (sous-régional à Montréal), concentre les pouvoirs vers le haut et éloigne les leviers de décision des réseaux locaux de services en imposant une logique régionale d’optimisation intra- établissement, plutôt qu’en réseau intégré au sein d’une communauté, d’un territoire donné, par l’entremise d’une structure participative locale;
- Les coupes de budget imposées au réseau de l’éducation incitent à la recherche d’un partenariat pour le maintien des services plutôt que pour des activités de prévention;
- L’abolition des Conférences régionales des élus et les restrictions imposées aux Centre locaux de développement (CLD) réduisent considérablement l’autonomie et le pouvoir de décision des acteurs locaux et régionaux;
- Les coupes de 30 % du budget de la santé publique, déjà le parent pauvre, affectent directement la capacité d’agir en amont sur les problèmes sociaux;
- Des projets comme le CAMPS n’ont pu aboutir malgré la forte concertation locale et l’appui des acteurs locaux, n’ayant pas encore obtenu les appuis politiques nécessaires et ce malgré les promesses de tous les candidats des deux dernières campagnes électorales, tant provinciales que fédérales!
Conclusion
L’action intersectorielle sur les déterminants sociaux de la santé, c’est bien sûr l’affaire de tous et de toutes. Celle du réseau de la santé et des services sociaux et de ses partenaires, mais aussi et surtout, c’est l’affaire du Conseil des ministres et du gouvernement. Car c’est de là que proviennent les politiques et décisions favorables ou non à la santé. Que ce soit en matière d’éducation, de services de garde, de logement, d’aménagement du territoire, de règlementation sur l’alimentation, la sécurité, le salaire minimum, pour que la responsabilité populationnelle soit effective, il faudrait à tout le moins lui fournir les ressources suffisantes pour soutenir ses travaux et sa mobilisation. Il faudrait également orchestrer les leviers politiques locaux, régionaux et nationaux en appui à leurs efforts pour favoriser l’adoption de saines habitudes de vie ou pour créer des environnements favorables à la santé.
Au moment où l’on craint pour l’avenir de l’organisation communautaire dans les CISSS et les CIUSSS, et où dominent les politiques d’austérité et de démantèlement de notre filet de sécurité sociale il y a lieu de croire que notre société, en agissant comme elle le fait sur les déterminants sociaux de la santé, produit plutôt la maladie et les problèmes sociaux à la vitesse grand « V », laissant entrevoir une explosion des coûts sociaux et économiques et du travail curatif en perspective!