Dossier spécial

Les déterminants sociaux de la santé

Déracinement et isolement


Par

Conséquences du mode de vie militaire chez les familles

Nous le savons, la qualité, la présence et la disponibilité du réseau social a une influence sur la santé mentale et physique des individus; c’est l’un des déterminants sociaux de la santé.

Puisque le mode de vie militaire exige des déplacements fréquents pour les militaires et leur famille, ce réseau est constamment ébranlé. Ils doivent déménager d’une base à l’autre environ aux trois ou quatre ans et ces déménagements, que nous appelons affectations, sont nécessaires afin d’assurer le maintien des opérations et de l’organisation. Rappelons que ce sont les forces armées canadiennes qui décident de quand un militaire et sa famille déménageront, à quel endroit et pour combien de temps. Ces déménagements fréquents entraînent des conséquences nombreuses : changement d’école pour les enfants, changement de culture et/ou de langue, modification au réseau de soutien, changement de médecin et de professionnels pour des soins particuliers (psychologue, orthophoniste, etc.), et changement dans la routine et les habitudes.

Pour certains membres de familles de militaires, il s’ensuit très souvent une perte professionnelle. Pour certains, ça se résume à changer d’environnement de travail, tandis que pour d’autre, il s’agit de quitter une profession dont les qualifications ne sont pas reconnues dans le lieu d’accueil. Des personnes dont la carrière est florissante se retrouvent parents à la maison, sans revenus et parfois sans connaissance de la langue. Il en résulte une perte d’identité, un changement de rôle et nécessairement un ébranlement du système familial.

Le réseau social
comme facteur d’enracinement

C’est entre autres pour pallier tous ces changements que les Centres de ressources pour les familles des militaires (CFRM) sont là, à travers le Canada, l’Europe et les États-Unis. Une grande partie de notre mission et notre rôle auprès des familles de militaires est de les aider à bâtir ou consolider leur réseau social, que ce soit en les intégrant dans le programme de jumelage, en les invitant aux café-causeries et aux activités diverses offertes par le centre ou encore en les orientant vers les ressources civiles et communautaires. Produit du déracinement, certains membres de ces familles se refusent à créer des relations d’intimité et de confiance avec les autres. Leurs relations restent superficielles et, lorsque surviennent des crises importantes, ils souffrent d’une solitude profonde. Pour plusieurs, les « civils » ne comprennent pas leur réalité et nous devons trouver des moyens de connecter avec eux, de leur démontrer que nous connaissons ce dont ils parlent, d’être capable de refléter leur détresse et de composer avec leur ambivalence à s’investir dans des relations.

Bien que la communauté militaire soit définie comme étant « une grande famille » les ragots et les rumeurs comme les nouvelles se propagent rapidement à l’instar de tous les cercles sociaux. Cette réalité peut freiner les conjointes à discuter entre elles de choses plus sérieuses ou personnelles, mais également les empêcher d’aller chercher le soutien dont elles ont besoin de crainte d’être identifiées par les autres. De plus, une certaine stigmatisation existe encore à l’égard de celles qui vont chercher de l’aide professionnelle ou qui utilisent les services des CFRMs. Elles sont perçues par certaines comme étant faibles et « ayant des problèmes ». Becker (1973) a montré qu’une fois qu’un individu est marqué par un stigmate, ses interactions avec l’environnement sont modifiées; le stigmate teinte et influence les interactions sociales.

Des familles résilientes

Le rôle du travailleur social dans les CRFMs est multiple. Il consiste avant tout à tenter avec la personne de créer ou d’élargir son filet de sécurité sociale, en favorisant son intégration dans la communauté d’accueil et en l’amenant à s’identifier comme étant acteur dans la situation, malgré le fait que celle-ci soit imposée. La personne qui accompagne le militaire a des sphères de pouvoir dans cette aventure et le travailleur social peut l’aider à les déterminer et à les actualiser.

Ces familles sont extrêmement résilientes. Elles disposent de plusieurs forces et de plusieurs expériences de vie parfois difficiles, mais souvent enrichissantes. Les conjoints et conjointes des militaires ainsi que les enfants ont appris à s’adapter et à naviguer dans l’incertitude, ainsi qu’à réagir en peu de temps face au changement. Or, plusieurs déterminants sociaux (sécurité d’emploi, filet de sécurité sociale, répartition du revenu, exclusion, etc.) étant continuellement en changement, quel est le réel impact sur les membres des familles militaires après des années de cette réalité de vie, lorsque la carrière militaire est terminée et qu’il est enfin temps d’intégrer un mode de vie stable?