Dossier spécial

Les déterminants sociaux de la santé

Agir sur l’environnement social : incontournable pour la réadaptation en dépendance


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Les centres de réadaptation en dépendance (CRD) sont disparus, avalés par les services en santé mentale des gigantesques CISSS. Que restera-t-il de la culture des CRD, ces petits établissements animés principalement par des intervenants psychosociaux s’appuyant sur une vision psychosociale de la dépendance, quand les CISSS, dominés par le médical et le psychiatrique, auront fini de les digérer? L’heure est à l’inventaire.

Quelles richesses de nos pratiques souhaitons nous absolument conserver? J’ai décidé de résumer et de partager avec vous les principaux aspects d’une approche sociale de la réadaptation en dépendance, approche j’ai défendue dans mon organisation au cours des 10 dernières années dans des rôles de coordonnateur, de superviseur, de formateur, mais surtout d’intervenant.

La loi de l’effet (Zinberg, 1973), connue par tous les intervenants en dépendance, nous rappelle que notre expérience des substances psychoactives dépend de l’interaction de facteurs associés à la substance elle-même, aux caractéristiques de la personne qui les consomme et au contexte dans lequel se vit cette consommation. Toutefois, le contexte demeure trop souvent le parent pauvre de nos analyses et de nos actions. L’environnement social de nos usagers a pourtant grandement participé au développement de leur dépendance et joue un rôle essentiel autant dans le maintien de la problématique que dans l’espoir de la résoudre. Permettez-moi de résumer quelques pistes issues de mon parcours et de celui de mes collègues permettant de prendre en compte l’environnement social des usagers et surtout, d’agir sur celui-ci.

Implication de l’entourage

Le maintien des liens avec les conjoints et les enfants sont la principale source de motivation de nos usagers. D’ailleurs, notre défunte association provinciale, constatant la plus value extraordinaire de l’implication des proches, nous recommandait « que le volet du soutien à l’entourage des personnes dépendantes soit intégré à toutes les composantes de l’offre de service des CRD1 ». Cette implication, rendue possible par des groupes de proches et des rencontres conjugales ou familiales, permet d’activer le soutien naturel, d’enrichir l’analyse de la situation, de faciliter la compréhension mutuelle à l’intérieur de la famille, de soutenir les parents et les conjoints dans leur volonté d’aider, de résoudre des conflits générateurs de stress et de consommation, de répondre aux besoins des autres membres de la famille.

Soutien dans le développement des rôles

Nous savons maintenant que l’accumulation de rôles sociaux (travailleur, parent, conjoint…) aide à contrôler la consommation. Ces rôles, en plus d’agir comme des clés donnant accès à des réseaux et à des ressources, permettent de structurer le temps et permettent de côtoyer des lieux incompatibles avec la consommation. Les milieux de travail, les responsabilités parentales et les conjoints présentent leurs propres exigences qui permettent de ne pas faire reposer le contrôle de la consommation uniquement sur les capacités personnelles d’un seul individu. Les usagers sont souvent en perte de rôles; il est donc de notre responsabilité de les aider à protéger ou à développer ces rôles dans un suivi de réadaptation en dépendance. Je pense notamment à notre programme d’intervention 6-12 pour les parents consommateurs et leurs jeunes enfants, au traitement conjugal pour le jeu pathologique et aux collaborations avec les organismes communautaires de réinsertion socioprofessionnelle.

La prise en compte du réseau social

Le réseau social de nos usagers s’est structuré autour de leur consommation; une modification de cette consommation exige donc souvent une modification de ce réseau. À l’aide d’un sociogramme, l’usager prend conscience de la place de la consommation dans son cercle social, il identifie les personnes aidantes et celles qui le mettent à risque, il détermine les personnes de qui il souhaite se rapprocher et celles de qui il veut s’éloigner. Aussi, il développe ses capacités à refuser des offres de consommation, à faire des demandes d’aide et applique des moyens pour diminuer son isolement. Et pourquoi ne pas inviter des amis (consommateurs ou non) aux rencontres?

Groupe d’aide mutuelle

L’intervention de groupe est une modalité historiquement chérie dans le traitement de la dépendance. Au-delà des pratiques manualisées, de la transmission de contenu ou de la psychothérapie, nos groupes sont des lieux d’entraide. Nos usagers désaffiliés, craintifs des relations dans lesquelles ils ont souvent été blessés, retrouvent dans nos groupes un rare milieu de soutien sécuritaire où leur expérience a une valeur pour les autres. Ce type de groupe exige de miser sur l’aide mutuelle, de partager le pouvoir avec les participants, d’aborder les causes structurelles communes, et d’avoir confiance en leur force.

Réinsertion sociale

L’amélioration des conditions de vie de nos usagers n’est pas un accessoire facultatif; il est un incontournable de la réadaptation elle-même. Submergés par des conditions de vie détériorées, nos usagers fuient dans la consommation. Un accompagnement pour les aider à retrouver une sécurité financière, alimentaire, résidentielle, physique, est essentiel. Agir sur les conditions de vie, c’est permettre à nos usagers de reprendre confiance dans leur capacité à faire face à leurs problèmes les plus urgents plutôt que de les fuir, de se sentir immédiatement récompensés pour leurs actions et leurs changements de consommation, de se donner une rampe de lancement pour leurs actions futures. Cet accompagnement nous permet de constater que les préjugés sont toujours vifs à l’encontre des personnes toxicomanes.

Partenariat

Toutes ces actions doivent se faire sur la base d’un partenariat solide, construit autant sur des ententes entre établissements que sur des liens de confiance entre intervenants. Il permet de créer un filet de sécurité dans l’environnement même de nos usagers, facilitant leur accès et leur cheminement dans des services trop souvent impersonnels. Les intervenants et les équipes doivent se créer la marge d’autonomie nécessaire pour faciliter ces liens primordiaux. Ils doivent également considérer que leur clientèle ne se limite pas aux usagers qui patientent sur leur liste d’attente, mais qu’elle est plutôt constituée de l’ensemble de la population de leur territoire touchée par la dépendance.

À force de vouloir ressembler aux professionnels de la psychologie et de la psychiatrie, afin d’être reconnus et acceptés, ces pratiques fondamentales pour nos usagers sont parfois délaissées par les travailleurs sociaux. Dans le contexte des changements qui nous attendent, si nous ne le faisons plus, qui le fera?