Sortir des sentiers battus

Expérimentation d’une intervention de groupe multifamilial

Par | Publié le | dans la catégorie Paroles de membres

Réunir trois familles qui ne se connaissent pas (six parents, trois adolescentes). Les faire travailler ensemble pendant six rencontres. C’est un projet inusité. C’est là l’essentiel du projet d’intervention de groupe multifamilial que nous allons décrire dans les prochains paragraphes.

Présentation du milieu
La réalisation du projet d’intervention s’est déroulée au Centre de pédopsychiatrie de Québec du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Cet établissement offre des services spécialisés et surspécialisés aux enfants et adolescents âgés entre 0-17 ans présentant un trouble de santé mentale complexe ou avec comorbidité.

Brève description du modèle d’intervention
Laqueur (1979) décrivait l’expérience des groupes multifamiliaux comme étant des «ateliers protégés» pour améliorer la communication et les interactions au sein de la famille. Ce modèle d’intervention propose des rencontres de groupe avec plus d’une famille. Le fait d’être en présence d’autres familles qui partagent des difficultés similaires permet aux participants de se comparer aux autres, de s’entraider et d’échanger sur des solutions mises en place par chacun (Asen et Scholz, 2010). L’objectif central de l’intervention multifamiliale est d’offrir la possibilité aux familles d’utiliser les multiples ressources qui existent dans le groupe (Asen et Scholz, 2010). D’ailleurs, McFarlane, Link, Dushay, Marchal et Crilly (1995) rapportent qu’un des facteurs bénéfiques de la participation à un groupe multifamilial est entre autres le soutien qu’elle apporte aux familles par la création d’un réseau social thérapeutique. Ainsi, ce modèle permet aussi de réduire la détresse de la famille et la stigmatisation vécue chez les familles (Asen, 2002).

Clientèle visée et retenue
La clientèle incluait les adolescents inscrits au programme pour adolescents avec éléments de personnalité limite à l’hôpital de jour du Centre de pédopsychiatrie ainsi que leur famille. De ce fait, trois familles ont participé au groupe multifamilial c’est-à-dire trois adolescentes ainsi que leurs parents soit trois mères et trois pères.

Les rencontres
La réalisation du projet d’intervention s’est déroulée à l’hôpital de jour du Centre de pédopsychiatrie de Québec du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Six rencontres de groupe multifamilial ont été offertes à raison d’une durée de deux heures chacune. Les séances se faisaient en coanimation avec l’étudiante ainsi que Vickie Gagnon, travailleuse sociale à l’hôpital de jour.

Objectifs des rencontres
Les rencontres de groupe multifamilial permettaient de travailler spécifiquement sur certaines composantes du fonctionnement familial (communication, cohésion, structure). En effet, trois objectifs d’intervention étaient ciblés, soit: 1) d’améliorer la qualité de la communication; 2) d’augmenter la cohésion familiale (qualité des liens entre les membres de la famille); 3) de renforcer la flexibilité des familles quant à leur capacité d’adaptation lors d’événements stressants.

Supervision
Le projet était supervisé par M. Isidore Néron qui était en observation derrière le miroir. Plusieurs objectifs sont poursuivis par cette présence derrière le miroir sans tain. D’abord, le fait d’observer le déroulement de la rencontre et le comportement de chacun des membres du groupe dans une position différente de celle des deux animatrices permet d’agir un peu comme un «outsider» et il permet de dégager des points de vue qui échapperaient autrement à ces dernières.

À quelques autres reprises, nous avons également utilisé l’espace physique derrière le miroir pour inviter des membres de la famille à observer le comportement en groupe d’un autre membre de la famille. En effet, à l’occasion d’une sculpture familiale, une adolescente avait à sculpter sa famille en utilisant les membres du groupe pour y parvenir. Nous avons alors demandé aux parents concernés de se retirer derrière le miroir unidirectionnel pour tout simplement observer leur fille qui sculptait sa propre famille. De cette façon, les parents ne pouvaient pas intervenir directement pendant la sculpture. Le superviseur était encore une fois bien placé pour observer les membres à ses côtés et éventuellement utiliser certaines informations découlant de ses observations. Et les réactions des membres familiaux observateurs étaient utiles et très significatives.

À la fin de chacune des rencontres, les animatrices ont réservé une période d’une quinzaine de minutes au superviseur qui s’adressait directement aux participants du groupe. Cette pratique, qui permet à l’observateur derrière le miroir de faire état de ses remarques et de ses observations colligées au cours des deux dernières heures, n’est pas documentée dans la littérature. Pour notre propre expérimentation, cette façon de faire s’est imposée un peu par elle-même. Nous ressentions un besoin de terminer la rencontre par une sorte de conclusion qui engloberait les faits saillants dégagés par les participants au cours de la séance. Fait intéressant, il nous était possible d’observer que les familles attendaient avec une certaine fébrilité et une certaine impatience cette «visite» du superviseur, ce qui nous encourageait à poursuivre dans cette direction. Même que dans l’une des dernières rencontres, un participant, vers la fin de la séance, a préparé explicitement la chaise qui allait être nécessaire pour accueillir le superviseur dans les minutes subséquentes. Personne ne lui en avait fait la demande. Nous en avons alors compris que cette courte intervention du superviseur faisait partie intégrante du processus thérapeutique vécu par les familles.

Quelques observations

  • Ce fut fascinant d’assister à des échanges entre des parents et des adolescentes qui ne sont pas de la même famille. Il en est de même quant à assister à un échange initié par une adolescente qui s’adresse à un parent qui n’est pas le sien.
  • Il fut surprenant de constater que les familles se confient et s’impliquent rapidement avec les autres familles même si ce sont des familles inconnues au départ de l’expérimentation.
  • En corollaire, l’implication significative des membres du groupe entre eux s’est considérablement raffermie avec le déroulement des rencontres. Plus les rencontres se multipliaient, plus la proximité entre les familles se manifestait. D’ailleurs, dès la première rencontre, une mère a nommé mot pour mot le premier processus thérapeutique du modèle multifamilial identifié par Asen et Scholz (2010) soit: «Nous sommes tous dans le même bateau».
  • L’exercice qui consistait à adopter l’adolescente d’une autre famille fut très révélatrice quant à la facilité que les membres disposaient à planifier la fin de semaine dans un temps record lorsque ce n’était pas avec leur propre adolescente qu’il fallait le faire.
  • Il aura fallu une solide détermination de la part de l’étudiante pour parvenir à recruter le nombre de familles nécessaire à la réalisation de ce projet.  D’autant plus que les rencontres se déroulaient un mardi entre 15H30 et 17H30.  Il faut souligner également la surprenante disponibilité des familles.
  • Les familles ont souligné que le groupe multifamilial était, selon eux, complémentaire au programme de l’hôpital de jour.

Conclusion
L’intervention réalisée dans le cadre de ce projet représentait une première expérimentation d’un groupe multifamilial au Centre de pédopsychiatrie du CIUSSS-CN. En raison de la rareté actuelle des ressources du réseau, il s’agit d’une modalité d’intervention innovante qu’il faudra probablement considérer de plus en plus, non seulement dans les secteurs de pédopsychiatrie mais également dans les secteurs Famille-Enfance-Jeunesse des CLSC. On peut voir comme étant une économie de temps que deux professionnelles travaillent avec trois familles pendant deux heures à toutes les deux semaines. Ces mêmes professionnelles pourraient très bien travailler simultanément avec plusieurs autres groupes de familles. Il suffirait que les travailleuses sociales soient un peu plus audacieuses et qu’elles risquent une intervention qui se fait autrement, intervention qui sort des sentiers battus.


Références
Asen, E. (2002). Multiple family therapy: an overview. Journal of Family Therapy, 24(1), 3-16. doi:10.1111/1467-6427.00197
Asen, E., et Scholz, M. (2010). Multi-family therapy: concepts and techniques. London & New York: Routledge.
Laqueur, H.P. (1979). La thérapie multifamiliale : questions et réponses. Dans D. Bloch (1994). Techniques de base en thérapie familiale (2e éd. française ed.). Ramonville-Saint-Agne: Érès.
​McFarlane, W.R., Link, B., Dushay, R., Marchall, J., et Crilly, J. (1995). Psychoeducational multiple family groups : four year relapse outcome in schizophrenia. Family Process, 34, 127-144