Il y a quelques années, le syndic a rédigé un article concernant la confidentialité des informations contenues dans les systèmes informatiques des établissements de santé et de services sociaux [1]. Depuis plus d’un an, les mesures d’urgence et la pandémie ont favorisé la mise en place de mesures permettant le télétravail. Ainsi, plusieurs d’entre vous sont en mesure de consulter les dossiers médicaux et sociaux des usagers de leur établissement de santé et de services sociaux dans le confort de leur foyer. À ce stade, il est important de faire la distinction entre un usager, soit une personne recevant des soins ou des services au sein de l’établissement, et votre client, soit celui à qui vous dispensez vous-même des services professionnels.
La Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit notamment à l’article 19 que: « le dossier d’un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom ». Vous pouvez légitimement consulter les renseignements pertinents contenus aux dossiers des usagers de votre établissement à qui vous dispensez des services professionnels, puisque ces usagers sont vos clients. Dans les autres cas, vous n’êtes pas autorisé à consulter les dossiers des usagers de votre établissement, à moins de vous prévaloir du consentement de cet usager ou d’une exception prévue par la loi.
Les établissements mettent en place certaines mesures de sécurité afin de restreindre l’accès aux dossiers aux personnes qui n’y seraient pas autorisées. Toutefois, cette sécurité n’est pas sans failles. Il est donc possible pour certains professionnels d’avoir accès à de l’information sans autorisation. Que cette information vous soit accessible ne vous donne pas pour autant l’autorisation de la consulter.
Le Conseil de discipline de l’Ordre a prononcé à plusieurs occasions des verdicts de culpabilité contre des membres pour avoir accédé à des dossiers d’usagers qui n’étaient pas leurs clients. Le Conseil considère en effet une telle conduite comme dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession. Dans cet article, nous présenterons une sélection de ces décisions disciplinaires.
Une décision récente de 2021 impose une sanction de 2 mois de radiation à une professionnelle ayant notamment consulté à 11 reprises le dossier d’une ancienne cliente sans autorisation [2]. Les consultations ont eu lieu en 2018 et 2019. Au moment de l’audition devant le Conseil, la professionnelle n’était plus membre de l’Ordre et elle a été l’objet d’un congédiement en lien avec la consultation de dossiers. Dans sa décision, le Conseil écrit : « un tel comportement ne saurait être toléré, et ce, afin de préserver la confiance du public envers les travailleurs sociaux à qui les clients confient leurs problèmes et leurs secrets les plus intimes ». Il ajoute au paragraphe suivant : « il s’agit donc d’une infraction grave qui se situe au cœur même de la profession ».
Une autre décision du Conseil de discipline en 2021 est également intéressante [3]. La plainte comporte un seul chef, soit la consultation de dossier d’usagers sans autorisation. La professionnelle consulte le dossier d’un usager à six reprises en 2017 et le dossier d’un autre usager à 40 reprises en 2019. La professionnelle a été en suspension, sans solde, pendant un mois par son employeur. Le Conseil a décidé d’entériner les recommandations conjointes et la professionnelle a été radiée temporairement pour quatre semaines.
En 2019, une travailleuse sociale [4] ayant consulté des dossiers sans autorisation a été radiée temporairement durant 15 jours par le Conseil de discipline. Celui-ci écrit dans sa décision : « le seul statut de professionnel ne donne pas le droit d’avoir accès à des dossiers de clients ou de patients lorsqu’aucune raison professionnelle ne le justifie ».
Dans une décision rendue en 2018 [5], une professionnelle consulte le dossier de deux usagers en 2016. À la suite de ce geste, son employeur la suspend sans solde pour une période de cinq jours. Dans la décision du Conseil, la professionnelle soulève n’avoir consulté que six minutes, mais cela ne peut, de l’avis du Conseil, être retenu comme un facteur atténuant. Le Conseil soulève la gravité de cet acte. Il impose à la professionnelle une réprimande en tenant compte de la suspension de cinq jours et des conséquences possibles de la publication d’un avis dans le journal local si elle faisait l’objet d’une période de radiation temporaire puisque la consultation visait les voisins de la travailleuse sociale.
Toujours en 2018, une travailleuse sociale ayant consulté les dossiers de 11 usagers du CLSC, dont trois étaient des clients de sa pratique autonome, a été radiée temporairement pour trois semaines [6]. Au moment de l’audition, la travailleuse sociale plaide coupable et des recommandations conjointes sont déposées. Dans sa décision, le Conseil écrit : « cette confidentialité constitue donc la pierre d’assise de la relation de confiance qui doit s’établir entre les professionnels de la santé, dont les travailleurs sociaux, et les usagers. Toute brèche affecte négativement ce lien de confiance pourtant essentiel dans l’exercice de la profession », démontrant ainsi la gravité de l’infraction.
Finalement, en 2016, le Conseil de discipline impose une radiation temporaire de 2 mois à une travailleuse sociale ayant consulté des dossiers de différents usagers sur une période d’environ 10 ans [7]. Au moment de l’audition, la travailleuse sociale est congédiée et des recommandations communes sont déposées devant le Conseil. Celui-ci soulève dans sa décision : « de plus, la radiation temporaire de deux mois aurait pu être plus sévère, compte tenu de la gravité de l’infraction, de la période pendant laquelle se sont déroulés les faits, de même que le nombre de consultations et d’usagers concernés ». Il poursuit au paragraphe suivant : « toutefois, compte tenu qu’il s’agit d’une recommandation conjointe, à la lumière des enseignements du Tribunal des professions dans Chan [16], le Conseil estime que la sanction recommandée n’est pas déraisonnable au point d’être contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice ».
En conclusion
Le droit à la confidentialité appartient à l’usager. Le Conseil de discipline, dans toutes ses décisions, confirme la gravité de ce type de manquement. Les seules justifications possibles sont celles qui sont prévues par la loi.
Avant de consulter le dossier d’un usager, il est de votre responsabilité de vous assurer que vous avez bel et bien l’autorisation de le faire. Une vérification de votre part vous évitera bien des soucis professionnels et favorisera le maintien de la confiance du public à l’endroit de nos deux professions.
[1] La confidentialité et les systèmes informatiques. Par Étienne Calomne T.S. | Publié dans Mots sociaux le 24 février 2017 | dans la catégorie Chroniques du syndic
[2] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Godbout (http://t.soquij.ca/k9XNc)
[3] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Perreault (http://t.soquij.ca/e5YJo)
[4] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Robillard (http://t.soquij.ca/r7X2R)
[5] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Fournier (http://t.soquij.ca/Lo79R)
[6] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Gaudreault (http://t.soquij.ca/Hj79M)
[7] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Moïse (http://t.soquij.ca/c2HGa)