
Je suis coordonnatrice clinique au programme services généraux et spécifiques de la direction Santé mentale et dépendances du CISSS de Laval et superviseure clinique de l’équipe des mesures d’urgence, volet psychosocial. L’équipe et moi avons développé une expertise dans l’intervention en contexte de sinistre. Nous avons notamment été mobilisés lors de l’arrivée massive des sans-papier au Québec en 2017, lors d’accidents variés (décès subis dans des milieux de vie ou dans le contexte d’accident de voiture) et lors des inondations de 2017 et de 2019. Ces expériences formatrices ont fait connaître l’expertise de notre équipe auprès de notre établissement et contribué à notre implication dans les multiples interventions de soutien auprès du personnel du CISSS de Laval lors de la pandémie de COVID-19.
Avec l’arrivée de la première vague de COVID-19 en mars 2020, l’équipe des mesures d’urgence psychosociale a été délestée de leurs tâches afin d’intervenir auprès de plusieurs employés eux aussi délestés au sein de l’établissement : infirmières, préposés aux bénéficiaires, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux. Les employés ont été ciblés par les interventions considérant les enjeux d’adaptation vécus en raison de l’exposition au virus, des multiples changements de tâches souvent imposées et de leur posture d’aidant dans un contexte de fragilisation psychologique.
L’intervention de groupe, qui se limite à une seule rencontre, a été retenue comme le moyen à mettre en place. Il s’agit d’une des modalités d’intervention recommandée en contexte de sinistre. En effet, la formation du Centre de recherche appliquée en intervention psychosociale (CRAIP) en sécurité civile dans un contexte d’intervention psychosociale recommande ce type d’intervention dans le contexte d’un sinistre ou d’une tragédie, lorsque certains impacts sont observés sur les plans personnels et collectifs tels que : pertes de vie, habitudes de vie grandement affectées, présence de symptômes de stress. Ce groupe, de type éducationnel, permet aux personnes touchées par un sinistre d’identifier leur vécu et d’obtenir de l’information afin de faciliter leur adaptation face au déséquilibre.
Démarche d’intervention de groupe
Dans un premier temps, les étapes suggérées d’une séance d’information psychosociale tirées du Guide de formation en intervention psychosociale dans un contexte de sécurité civile ont été mises de l’avant afin de préparer la structure et le contenu de la rencontre. Ce contenu se divise en quatre temps :
- l’information au sujet du contexte du sinistre et du processus d’adaptation;
- le partage et l’accueil des réactions
- les stratégies pour faire face;
- les ressources supplémentaires d’aide.
Des outils ont aussi été utilisés comme le baromètre des signes vitaux psychologiques et un document proposant les références pour un suivi ou du soutien téléphonique. Le baromètre des signes vitaux psychologiques permet, entre autres, de se situer en fonction des réactions vécues par une gradation de couleurs allant du vert au rouge.
Après avoir animé deux séances, le contenu a été amélioré à la suite de l’évaluation des participants des premiers groupes en ajoutant plusieurs outils. Aussi, une évaluation pré-groupe a été complétée avec le gestionnaire qui faisait la demande de soutien pour son équipe. À la suite de ces évaluations, des interventions ont été planifiées en identifiant :
- les principaux enjeux;
- la logistique et les besoins des employés.
Dans notre planification des groupes nous avons également décidé de privilégier l’intimité et l’homogénéité en limitant à 12 le nombre de participants. De plus, nous avons suivi les recommandations pour ce type de rencontre qui se veut d’une durée de deux heures et d’une seule rencontre. La participation aux rencontres était volontaire et sur les heures de travail. Elle était fortement suggérée par le gestionnaire qui demandait cette forme de soutien. A ce jour, nous avons réalisé 50 groupes auprès du personnel du CISSS de Laval.
Pistes de réflexion
La pandémie du coronavirus, m’a permis de réfléchir au rôle d’animateur pour ce type d’intervention. Plus précisément, à l’importance d’adapter les interventions aux besoins des participants, malgré le caractère structuré de ce type de rencontre. La réflexion dans, pendant et après l’action s’est avérée une alliée nécessaire pour composer avec la singularité de chacun des groupes rencontrés.
Premiers groupes : un outil vole la vedette
Plusieurs participants avaient démontré un vif intérêt pour l’outil du baromètre et auraient souhaité obtenir encore davantage de stratégies concrètes de gestion du stress. Mon hypothèse étant que les gens dans ce groupe se portaient assez bien et démontraient de la curiosité pour aller un peu plus loin au sujet des stratégies d’auto-soins recommandés pour favoriser l’adaptation face au stress. Malgré la rigueur du canevas d’animation préalablement déterminé, le recul a permis de tenir compte des réactions positives des participants face à l’outil du baromètre pour en élaborer d’autres. De cette façon, il nous serait possible d’utiliser un éventail d’outils à choisir en fonction du vécu et des besoins du groupe. Comme Holborn (1992) le mentionne, un praticien réflexif fait un examen critique de ses pratiques afin d’en tirer de nouveaux niveaux de compréhension dans le but de guider ses actions à venir.
De l’espace dans le groupe pour répondre à la détresse exprimée
Dans une animation subséquente, nous avons noté qu’un groupe très en détresse manifestait le besoin de verbaliser et de solidariser un vécu difficile. Nous nous sommes adaptées en donnant le temps et l’espace nécessaire au groupe pour exprimer et identifier leurs émotions et partager un vécu commun dans un contexte validant. Cette décision a été prise dans le feu de l’action en tenant compte de certains éléments : la grande détresse des participants, un milieu de travail surchargé en raison des besoins élevés de la clientèle et du manque de personnel. Une priorité a été accordée au besoin d’être reconnu et accueilli dans son vécu et d’être référé vers des ressources en mettant de côté plusieurs outils d’auto-soin. Cette décision rejoint les propos de Turcotte (2017, p. 101) : « Une animation flexible est essentielle à la réussite d’un groupe éducationnel… Comme intervenant social, sa priorité est la réponse aux besoins des membres, et non la diffusion d’information ».
Quand la colère mène à une action constructive
Dans un autre groupe, la colère et l’impuissance teintaient les échanges, les employés ne s’étant pas sentis considérés dans le contexte du délestage. Leur besoin de partager leur vécu face à l’imposition d’un nouveau milieu de travail et de nouvelles tâches ressortait dans leurs propos. Lorsque le temps est venu de discuter des stratégies qui stimulent la résilience, une forme de résistance s’est fait sentir chez certaines personnes à aborder cette notion. Une participante a mentionné ne pas être rendue à cette étape et s’être sentie brimée dans le contexte du délestage comme peut l’être une victime. Les propos de cette participante, conjugués aux réactions non-verbales de certains autres, m’ont amenée à réfléchir et à réguler ma pratique dans l’action en orientant les échanges autour de la position de victime d’une situation. J’ai pensé que relancer le groupe au sujet de leurs besoins actuels dans ce contexte d’impuissance pouvait être utile afin d’approfondir les échanges sur ce sujet. J’avais remarqué que la colère les amenait à parler des autres et j’ai compris qu’il pouvait être utile à ce moment précis de la rencontre qu’ils puissent échanger un peu plus à propos d’eux. Il est aussi connu que l’action peut être un antidote à la colère. L’exploration de cette piste s’est imposée. À travers les échanges, le groupe a pris la décision de planifier une rencontre avec le gestionnaire dans l’intention de partager leurs difficultés vécues dans le contexte et d’entendre les défis que leurs gestionnaires avaient peut-être aussi vécues. En prenant cette direction, je suis sortie du canevas de la rencontre en respectant toutefois les objectifs de la séance. Cela rejoint les propos de Papell et Rothman (1983) : même si la structure est importante, elle ne doit pas faire oublier la valeur primordiale de la relation entre l’animateur et les membres du groupe. L’animateur doit donc éviter de faire une application rigide du programme et doit y renoncer temporairement si le contexte ne s’y prête pas.
Pour conclure
Les moments forts du processus de déploiement des groupes dans le contexte de la COVID-19 ont ici été résumés. Ils ont permis un ajustement de la pratique en fonction des rétroactions des participants et de notre réflexion dans, pendant et après l’action. Ainsi, les outils, l’animation et les interventions ont été repensés et bonifiés auprès des différents groupes où l’ouverture et la flexibilité se sont avérées des éléments essentiels même dans un cadre pré-établi.
Références :
Holborn, P. (1992). Devenir enseignant, Montréal : Éditions Logiques
Papell, C.P. et B. Rothman (1983). « Le modèle du courant central du service social des groupes en parallèle avec la psychothérapie et l’approche de groupe structuré », Service social, vol. 32, nos 1 et 2, p. 11-31.
Turcotte, D. (2017). « Le modèle éducationnel en services social des groupes » : 91-116 dans V. Roy et J. Lindsay (sous la dir.). Théories et modèles d’intervention en service social des groupes, Québec : Presses de l’Université Laval.