L’intelligence artificielle est déjà là

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Le futur s’appelle aujourd’hui. Les romans d’anticipation et films d’hier n’appartiennent plus à l’imaginaire. Bientôt, ici même à Montréal, les robots créés par Isaac Asimov, vous serviront le café le matin. Ne craignez pas qu’ils s’attaquent à vous par erreur, selon les lois de la robotique de leur auteur, ils ne doivent pas porter préjudice à l’être humain à moins que… Stephen William Hawking, célèbre physicien décédé le 14 mars 2018, a déjà affirmé que l’intelligence artificielle (IA) risquerait de mettre fin à humanité, que nous pourrions devenir un fardeau pour les machines devenues trop intelligentes. 2001, l’odyssée de l’espace (Arthur C. Clarke, Stanley Kubrick) et Terminator (Harlan Ellison, James Cameron et autres), fictions ou réalités?

L’intelligence artificielle (IA) constitue un ensemble de théories et de techniques pour développer des systèmes et des machines capables de simuler l’intelligence humaine, dont la robotique n’est qu’une des dimensions. Pour certains analystes, elle représente la voie de l’avenir, pour d’autres comme Hawking, un risque à calculer.

Le travailleur social n’est pas à l’abri des impacts de l’IA et de ses systèmes computationnels. Si les robots ne le remplacent pas, tout au moins avant plusieurs décennies, l’IA risque de modifier le contexte et la nature de son travail. À lui d’être vigilant dans ce débat éthique qui n’en est qu’à ses balbutiements.

L’IA et l’avenir du travail social

Les robots ont déjà envahi l’univers de la santé et du social. En Angleterre, on découvre des systèmes de chirurgie entièrement automatisés. La firme Knightscope a créé un robot autonome, le K5, qui patrouille et surveille ce qui se passe dans la Silicon Valley (pôle des industries de pointe). Robocop et Rapport Minoritaire sont à nos portes!  Le Japon est un leader dans la robotique industrielle où on compte 1280 robots pour 10 000 salariés (Et si les robots prenaient soin de notre santé, comme au Japon?, février 2018). Ici même au Québec, un blanchon automatisé («le robot-phoque»), a été utilisé pour ses vertus thérapeutiques en CHSLD, dès 2012. Le débat est relancé, où dans des résidences pour personnes âgées, on retrouve des animaux de compagnie robotisés destinés à des patients en pertes cognitives. On détecte des éléments de la robotique dans différents hôpitaux (ex. : robot chirurgical Da Vinci de l’hôpital Sacré-Cœur) et au CHUM (Centre Hospitalier de l’Université de Montréal), on aperçoit des véhicules autoguidés (VAG) qui réalisent plus de 2500 déplacements quotidiennement.

Les récentes études prospectives dévoilent que l’emploi de travailleur social ne serait pas menacé par les progrès de la robotique. Un article du journal Les Affaires (2018, 03,27) prédit que d’ici 2030, un emploi sur deux sera chamboulé par les robots. Le magazine L’Actualité, dans «Allez-vous être remplacé par un robot? Demandez-le à notre robot?» (2016, 09,21) a mis sur pied un minuscule programme d’IA, selon un modèle inspiré de deux professeurs d’Oxford. Suite à la réalisation du bref questionnaire, on arrive à un résultat probant, 4 % de probabilité de disparition. Le métier de travailleur social serait préservé parce qu’il comporte un niveau de complexité élevé et des exigences distinctes au niveau relationnel.

Un test similaire de la BBC News (“Will a robot take your job?”, 2015, 09,11) place la profession à l’échelon 312 sur 366, ce qui confirme un risque peu significatif «d’effacement». Constatons que ces chiffres apparaissent pour le moins sécurisants à l’heure actuelle.

Cependant, la robotique ne constitue qu’un des aspects de l’IA et qui peut prédire réellement ce qui va se passer dans 20 ou 30 ans. On éprouve des difficultés à réaliser des prédictions économiques et boursières avec exactitude alors en IA, les incertitudes persisteront.

L’introduction de l’IA et la standardisation des données

Hormis les exemples précédemment cités qui illustrent l’implantation progressive de l’IA, on observe systématiquement dans l’univers de la santé et du social au Québec, l’introduction de grilles prédéterminées destinées à la cueillette des informations nécessaires à la mise en place des services. Ceci constitue un préalable sine qua non pour instituer des programmes d’IA. Les OEMC (outils d’évaluation multiclientèle) ou OCCI (outils du cheminement clinique informatisé) exploités dans les programmes du soutien à domicile ou de la déficience intellectuelle, trouble du spectre de l’autisme et déficiences physiques s’inscrivent dans cette perspective.

La première partie du questionnaire OEMC-OCCI, comporte 11 volets (dont les AVQ, mobilité, tâches domestiques, fonctions mentales). Après une validation des données recueillies, le programme  accordera un pointage, un ISO-SMAF avec une distance euclidienne décrivant le type d’incapacités reconnu. La seconde partie, vise à déceler à partir de cette évaluation, les forces et les attentes de l’usager et des proches, des aidants principaux. L’identification des risques probants, des vulnérabilités possibles sera émis par le «système machine». Si nous manifestons un désaccord avec les résultats, nous possédons le pouvoir de retirer les indicateurs qui ne nous apparaissent pas pertinents.

Avec des algorithmes plus précis, plus perfectionnés, pourrons-nous nous continuer à apporter des changements au «diagnostic machine»?

L’éthique et l’IA

Il n’existe pas de thème plus éthique que celui qui concerne l’IA. Certains experts clament que l’IA va permettre au travailleur social d’être plus performant dans ses analyses puisqu’il disposera en tout temps, d’un expert clinique «neurotechnique» pour le conseiller. D’autres, à l’inverse, affirmeront qu’il verra son jugement professionnel altéré, affaibli. Mouvance qui risquerait de susciter une éventuelle déqualification de ses compétences et le dessaisirait de son pouvoir de décision.

Pour Éric Sadin, écrivain et philosophe, qui a rédigé de nombreux livres sur l’IA et prononcé de multiples conférences à travers le globe, les univers du médical et du social deviennent formatés, inféodés, assujettis au technocapital  («totalitarisme soft» selon l’auteur).

D’autres, à l’inverse, subjugués par l’aura de l’IA, misent massivement sur elle et en réalisent l’apologie. Ici, dans cette logique, on ne pose plus la question du quand, mais comment et on demande aux gouvernements d’investir davantage pour faciliter le traitement et l’interconnexion des données à grande échelle. Au niveau de la santé, on promet qu’elle allongera l’espérance et la qualité de vie dans un transhumanisme où l’Homme et la machine ne feront plus qu’un. Restera à savoir qui aura accès aux plus-values de l’IA et/ou à ses effets secondaires.

Déclaration de Montréal sur l’IA, 2018

Pour ceux qui imaginent que les propos tenus par ces différents protagonistes puisent davantage leur inspiration dans les œuvres de fiction, soulignons que suite à une initiative de l’Université de Montréal (2018), on a rédigé une «Déclaration» recouvrant sept valeurs fondamentales sur le thème d’une «IA responsable» : bien-être, autonomie, justice, vie privée, connaissance, démocratie et responsabilité. Plus de 500 personnes ont contribué à la rédaction de ladite déclaration et il en est ressorti 10 principes, 60 sous-principes d’application, 4 chantiers de recommandations de politique publique, 35 propositions et un rapport de 321 pages.

La raison numérique des petaoctets, des données exponentielles, des algorithmes exerce une hégémonie de plus en plus forte qui s’intensifiera. Les systèmes ne se limitent plus à la collecte d’informations, à leur classement et à leur indexation, mais à l’interprétation et à la déduction. Eric Sadin dirait à ce propos que les effets de la «Silicon Valley» («La Silicolonisation  du monde, L’irrésistible expansion du libéralisme numérique», 2016) commencent à se faire sentir aussi chez-nous comme à l’échelle de la planète, mais nous n’en sommes qu’aux prémisses.

L’IA: pour le meilleur ou pour le pire? Nous allons le découvrir peu à peu. La déclaration de Montréal sur l’IA nous concerne tous. Elle appelle à l’obligation d’être présent dans les débats et rencontres de concertation. Si l’autonomisation a libéré les humains de tâches éreintantes, le traitement des données informationnelles tout azimut et la venue des robots propulsent plus loin cette révolution industrielle. Avec l’IA, nous atteignons une nouvelle ère, celle du quaternaire. Qu’arrivera-t-il si l’IA atteint un niveau de pleine conscience, nous serons ici très loin des robots parfois peu empathiques et souvent en panne? Qui peut prédire ce qui arrivera? Pour le moment, constatons que l’IA a déjà commencé à modifier notre travail et à nous changer.

Que criait sans arrêt le robot face à une menace, dans la série culte américaine Perdus dans l’espace, «danger Will Robinson, danger, danger!!!». Entre le robot protecteur, collaborant et celui qui cherchera votre perte, à qui ressemblera-t-il dans quelques décennies, sinon qu’à nous-mêmes? L’IA, quand la réalité rejoint la fiction, laisse la place à tous les rêves et à tous les cauchemars. À suivre de près, car elle arrive à une vitesse qui deviendra vertigineuse avec ses miracles et ses périls.

«Je suis désolé Dave, je ne crois pas pouvoir faire ça. Je sais que Frank et toi avez l’intention de me déconnecter. C’est quelque chose que je ne peux vous laisser faire… Je sais que j’ai pris des décisions hâtives ces derniers temps… J’ai toujours confiance dans cette mission, je puis vous aider à la mener à bien. Écoutez Dave, je vois que vous êtes vraiment très affecté par cet incident. Et sincèrement, je pense que vous devriez reprendre vos esprits, absorber un tranquillisant, et essayer de faire le point. Dave, arrêtez, je vous en prie, arrêtez. J’ai peur.» – Propos de l’ordinateur HAL 9000 tirés du film 2001, l’odyssée de l’espace, au moment où le Dr Dave Bowman tente de le désactiver.