

11 mars 2021. Il est 13h. Nous nous arrêtons tous pour la commémoration en l’honneur de celles et de ceux, ici, qui ont perdu ce combat inégal face au virus. Ce même virus qui a bouleversé nos vies il y a déjà un peu plus d’un an, ce virus qui a tout transformé d’une manière que personne n’aurait pu même imaginer. Je sens l’émotion monter en moi lorsque ma collègue commence à chanter Amazing grace. Les larmes coulent sur les joues de mes confrères et consœurs, mais ce sont les larmes des résidents qui captent davantage mon attention. La buée envahit nos visières et une lourdeur s’installe. La nostalgie, les souvenirs et aussi l’incompréhension face à tout ça. J’observe les résidentes et les résidents qui sont là et je tente de capter le moindre signe qui pourrait signifier une demande de soutien. Je prends donc le temps de les regarder tous, celles et ceux qui habitent ici, qui attendent leur tour pour quitter l’établissement. L’inconnu nous habite pour demain, mais mon cœur a envie de se remplir d’espoir pour ce qui est à venir.
Je n’étais pas à la résidence Herron en mars dernier. Je n’ai pas vécu l’expérience de mes collègues sur place au printemps 2020 et je ne peux pas non plus me mettre à la place des nombreux résidents et de leurs proches qui ont vécu ce cauchemar. J’ai vécu le début de cette pandémie à ma façon, et comme tout le monde, de manière renversante tant aux niveaux personnel que professionnel. Je suis intervenue au printemps dans quelques dossiers de résidents sur place, mais ce n’est qu’à la mi-novembre 2020 que j’ai débuté le mandat qui m’a été confié : le délestage à temps complet de l’ancienne Maison Herron, aujourd’hui rebaptisée CHSLD Ouest-de-l’Île. Les consignes étaient claires; nous devions débuter le mouvement de la relocalisation en prévision de la fermeture définitive du CHSLD.
Le travail social est une profession méconnue qui mérite d’être démystifiée. Cela s’explique par les différentes clientèles que nous desservons et par le port de plusieurs chapeaux et les responsabilités qui nous incombent. Mon travail consiste à aider les personnes adultes présentant une perte d’autonomie fonctionnelle importante, qui ont des besoins complexes. Je favorise la mise en œuvre du réseau autour de la personne âgée et de ses proches. Je joue plusieurs rôles, dont l’évaluation de la personne dans sa globalité, l’élaboration d’un plan de services individualisé, je favorise le dialogue en collaboration avec les personnes, leurs proches et les partenaires, l’ajustement des services en cours, si nécessaire, la coordination des services et enfin la représentation de la personne dans son parcours au sein du mouvement de la relocalisation. Les orientations diffèrent : orientation publique ou privée; retour à la maison avec aide du CLSC; orientation hors secteur et même hors province. Toutes ces orientations exigent des interventions exclusives et chacune demande l’élaboration d’un plan spécifique et adapté à chaque personne.
Plusieurs responsabilités s’ajoutent à ce mandat déjà délicat et complexe. Bien sûr, on doit composer avec la pandémie, mais aussi avec la fermeture de l’établissement, la couverture médiatique et les nombreux défis que personne n’aurait pu prévoir. Les recommandations et les règlements changeants des directives ministérielles, provinciales ou fédérales, nous obligent à nous réajuster tous les jours. L’interdiction des visites pour les proches qui pour la plupart habitent à l’extérieur de la province, afin d’éviter la contamination, est une source de stress supplémentaire pour les familles. Dès le départ, le plus grand défi fut de rebâtir la relation de confiance et de proximité auprès des résidents, costumés de la tête aux pieds avec nos équipements de protection individuelle. On peut facilement s’imaginer à quel point il peut être ainsi difficile de communiquer avec des personnes qui sont atteintes de déficits cognitifs ou même de surdité. Pourtant, tant de choses doivent être expliquées et comprises : les différentes options de relocalisation et l’offre de ressources afin de bien cibler et orienter la personne, l’importance de la mise en place d’un système efficace pour assurer un déménagement en douceur (l’organisation du transport adapté, une requête pour le dépistage COVID 24 heures avant le départ, le paquetage des effets personnels, le soutien psychosocial auprès de celles et de ceux qui vivent la solitude, qui sont endeuillés, qui craignent la mort face au virus, qui vivent de l’anxiété face à l’inconnu du nouveau milieu de vie à venir, etc.)
Le mandat du travailleur social s’étend aussi auprès des familles et des proches des résidents qui eux aussi ont besoin d’un soutien psychosocial et veulent être rassurés à travers chacune des étapes de la relocalisation de leurs êtres chers. Puisque les rencontres traditionnelles en personne sont interdites, le soutien psychosocial prend de nouvelles formes et les interventions se font par téléphone, par Zoom, par courriel et même dehors à plus de trois ou quatre mètres de distance. Ces interventions débordent bien souvent des horaires réguliers de travail, mais c’est bien ainsi, car je souhaite offrir un soutien et une disponibilité constants. Pendant la période des Fêtes, en décembre, des collègues et moi avons mis nos familles de côté pour rester auprès des résidents, pour jouer au bingo, et pour nous assurer que des rencontres Zoom étaient organisées selon des horaires bien précis afin que les résidents puissent participer, même à distance, aux festivités dans leurs familles. On a ri, on a pleuré. Les fêtes furent émotives pour tout le monde.
Somme toute, ce mandat est majeur et ne serait pas possible à réaliser sans l’aide de l’équipe en place. C’est un travail qui nécessite une communication efficace entre tous les professionnels et l’équipe de gestion pour effectuer la relocalisation des résidents et la fermeture de l’établissement en respectant la dignité de toutes et de tous. Les résidents et leurs proches font preuve malgré tout d’une grande résilience et je serai marquée à jamais par cette force dont ils font preuve.
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