
Portrait de la situation
La clientèle en perte d’autonomie requérant un hébergement bénéficie d’un accès aux services publics pour l’évaluation des besoins menant à l’orientation en centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), en ressources intermédiaires (RI) ou en ressources de type familial (RTF). Cela dit, le réseau privé constitue de plus en plus une alternative aux ressources publiques d’hébergement, particulièrement pour les clientèles en perte d’autonomie légère.
Des professionnels de la santé et des services sociaux, dont un certain nombre de nos membres, ont donc développé, en pratique autonome, des services d’évaluation des besoins, de pairage avec des ressources privées d’hébergement et de suivi (court terme) post-hébergement, ce qui correspond au spécifique des travailleurs sociaux dans ce domaine. Le choix des ressources privées d’hébergement se réalise à partir d’une banque de ressources évaluées par ces professionnels.
Le mode de rémunération est souvent le même. Lors de l’accueil des clients, les ressources versent aux professionnels l’équivalant d’un mois de loyer (entre 1 500 $ et 5 000 $). Les clients ne paient que des honoraires réduits (ex. : pour l’ouverture du dossier), voire ne déboursent rien. Dans le cas où le pairage avec une ressource privée s’avère impossible (en raison des besoins spécifiques de la clientèle ou d’un désistement du client en cours de processus), les professionnels facturent généralement à leurs clients des honoraires sur une base horaire, en fonction du temps investi.
Des enjeux déontologiques et légaux
Cette pratique soulève plusieurs questions relativement aux dispositions du Code de déontologie et aux normes de pratique de notre ordre professionnel. Le Bureau du syndic a d’ailleurs déposé une plainte à l’endroit d’une travailleuse sociale intervenant dans ce champ de pratique. La preuve recueillie a amené cette dernière à plaider coupable en regard d’un conflit d’intérêts, du non-respect des normes de pratique et de la perception d’honoraires déraisonnables (le jugement du Conseil de discipline dans ce dossier est à venir). Cette activité pourrait également occasionner des poursuites par l’Association des courtiers et agents immobiliers (OACAIQ) qui pourrait y voir une contravention à une activité réservée en vertu de la Loi sur le courtage immobilier (recherche d’un lieu d’habitation contre rémunération). Toutefois, nous ne traiterons pas de cet aspect dans ce texte, étant donné qu’il ne relève pas de notre mandat.
Des problèmes potentiels
La notion de conflit d’intérêts
Les articles 3.05.01 et 3.05.03 du Code de déontologie sont particulièrement interpellés par cette pratique. Ces articles exigent en effet de nos membres qu’ils subordonnent leurs intérêts à ceux de leurs clients. En d’autres termes, les professionnels se placent en conflit d’intérêts lorsqu’ils peuvent être portés à préférer certains d’entre eux à ceux de leurs clients ou que leur jugement serait défavorablement affecté. La notion de conflit d’intérêts repose sur un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel.
Concrètement, en choisissant des ressources qui leur versent des honoraires de pairage, les professionnels concernés risquent, à tout le moins en apparence, d’orienter les clients vers ces ressources. De plus, tout en considérant la capacité de payer des clients, ces professionnels pourraient être portés à proposer un pairage avec des ressources plus dispendieuses, puisque leur rémunération en dépend.
Les honoraires
Des professionnels qui percevraient à la fois une rémunération (aussi minime soit-elle) de la part de clients et des honoraires de la part de ressources (aux fins de pairage) pourraient contrevenir à l’article 3.05.07 du Code de déontologie en recevant, pour un même service, une rémunération provenant de deux sources différentes. Ces mêmes professionnels ne pourraient pas évoquer les services rendus aux ressources étant donné que l’évaluation de celles-ci n’est que ponctuelle. En percevant l’équivalant d’un mois de loyer, sans tenir compte du nombre d’heures requis pour réaliser le pairage, ces professionnels reçoivent une rémunération qui pourrait n’être ni juste, ni raisonnable au sens des articles 3.08.01 et 3.08.02 du Code de déontologie. La justification de cette rémunération par le suivi post-pairage (inclus dans la rémunération) n’est pas recevable. Une telle intervention est non seulement aléatoire, mais l’article 3.08.04 du Code de déontologie interdit de percevoir à l’avance des honoraires.
Les outils cliniques
Dans les situations qui nous ont été soumises, nous observons que l’évaluation, particulièrement celle des ressources, ne répond généralement pas aux exigences dictées par le MSSSQ1 en la matière. De plus, l’évaluation du fonctionnement social de la clientèle ne contient pas toujours les éléments prévus par nos normes de pratique2.
Le devoir d’information
Tant les normes de pratique que le Code de déontologie (article 3.02.04) exigent des professionnels qu’ils renseignent les clients sur l’ensemble des options possibles pouvant répondre à leurs besoins. Cette obligation consiste à renseigner la clientèle sur l’ensemble des ressources d’hébergement publiques et privées connues sur un territoire donné. Or, dans les situations portées à notre attention, les professionnels semblent privilégier
les ressources privées avec lesquelles ils ont une entente de services. À la rigueur, ils orientent les clients en perte d’autonomie importante vers le CLSC, pour un hébergement en CHSLD, mais ne font guère mention des ressources intermédiaires (RI) ou des ressources de type familial (RTF) pouvant les accueillir, avec un encadrement des services et bien souvent à coût moindre.
Les pistes de solutions
Ce texte ne vise pas à décourager les membres de l’Ordre d’œuvrer dans ce nouveau champ d’activité, mais plutôt à les renseigner adéquatement afin qu’ils exercent cette activité conformément aux dispositions réglementaires et normatives auxquelles ils sont soumis. Compte tenu des particularités propres à chaque situation, les pistes de solutions qui suivent ne constituent pas un avis professionnel, mais doivent plutôt être
considérées comme des balises.
Les honoraires
Pour le service d’évaluation du fonctionnement social et le pairage avec une ressource, un professionnel ne peut percevoir d’honoraires que d’une seule source pour un même service, en l’occurrence le client en besoin d’hébergement. Toutefois, il est possible que des ressources vers qui la clientèle est dirigée choisissent de rembourser à leurs clients les coûts des services professionnels. Dans ce cas, toutes les ressources avec lesquelles ce professionnel transige devraient adopter ce mode de fonctionnement. La prudence est cependant de mise, car la moindre exception à ce mode de fonctionnement ferait en sorte que sans percevoir directement de rémunération des ressources, les professionnels pourraient être susceptibles d’orienter la clientèle vers les ressources offrant un tel remboursement (notion d’intérêt indirect mentionné à l’article 3.05.03-b du Code de déontologie). Or, le contrôle des professionnels sur le mode de fonctionnement des ressources est très aléatoire à ce chapitre. Par contre, les professionnels sont en droit de percevoir des honoraires de la part des ressources pour des services directs rendus : évaluation ou réévaluation de la ressource, accompagnement en regard de clientèles hébergées, formations dispensées aux responsables et aux employés de ces ressources.
Les outils cliniques
Les outils d’évaluation de la clientèle doivent être conformes aux normes de pratique et doivent minimalement inclure les éléments prescrits par ces normes ainsi que des données spécifiques s’appliquant aux clientèles en perte d’autonomie. En ce qui concerne l’évaluation des ressources d’hébergement, le processus d’accréditation des ressources par les établissements publics (CLSC, CHSLD) est rigoureux (en concertation avec les services municipaux pour le volet sécurité des bâtiments) et requiert l’utilisation d’outils validés. L’élaboration d’une banque de ressources privées devrait donc répondre aux mêmes standards de qualité.
Le devoir d’information
Les professionnels doivent orienter leurs clients vers les ressources les plus adaptées à leurs besoins, tout en tenant compte des critères d’admission prévus pour l’admission dans les ressources publiques. Ils doivent également informer leurs clients, le plus rapidement possible dans le processus d’évaluation des besoins, de la gamme de ressources adaptées à ces mêmes besoins. À la liste des ressources qu’ils ont personnellement
évaluées, les professionnels doivent inclure les ressources non évaluées (en les désignant clairement comme telles), ainsi que les ressources publiques. Les professionnels doivent informer leurs clients sur les éléments qu’il importe de vérifier dans la recherche d’une ressource d’hébergement. Ces informations sont d’autant plus pertinentes lorsque le client ou son entourage décident d’effectuer eux-mêmes cette recherche de ressources.
En conclusion
La croissance du nombre de conseillers en hébergement et le recours aux ressources privées d’hébergement vont de pair avec la hausse du nombre de personnes en perte d’autonomie. Les travailleurs sociaux contribuent à soutenir cette clientèle vulnérable en évaluant leurs besoins de services spécialisés et en supportant leur orientation vers un milieu approprié à leurs besoins. Ce texte a donc pour objectif de sensibiliser les membres de l’OTSTCFQ à certaines balises permettant d’encadrer cette nouvelle pratique, afin d’assurer la protection du public.
1MSSSQ, Manuel d’application du Règlement sur les conditions d’obtention d’un certificat de conformité de résidence pour personnes âgées, mai 2007.
2OPTSQ, Guide de normes pour la tenue des dossiers et des cabinets de consultation, annexe 1, décembre 2005.