MÉMOIRE PORTANT SUR LE PROJET DE LOI NO. 18
Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile, la Loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes
Commission des relations avec les citoyens
Assemblée nationale du Québec
18 septembre 2019
Madame la présidente, Monsieur le ministre,
Distingués membres de la Commission,
Au nom de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, je vous remercie de nous permettre d’exercer notre participation citoyenne en commentant le projet de loi no 18.
J’ai le plaisir d’être accompagnée de M. Alain Hébert, travailleur social et chargé d’affaires professionnelles à l’Ordre.
Introduction
Dans le respect de sa mission de protection du public, notre ordre soutient et encadre l’exercice professionnel de ses quelque 14 000 membres.
L’Ordre juge impératif de participer à la réflexion sociétale entourant ce projet de loi. Je tiens d’ailleurs à remercier le Curateur public de nous avoir associés à sa consultation en reconnaissance de notre expertise.
Mise en contexte et observations générales
Madame la présidente, permettez-moi de vous présenter brièvement notre profession inspirante.
Nous croyons en la capacité humaine d’évoluer et de se développer. Nous adhérons aux principes de respect de la dignité, de l’autonomie et de l’autodétermination de la personne. Nous reconnaissons à tout individu en danger le droit de recevoir assistance selon ses besoins. Nous sommes, et avec fierté, d’ardents défenseurs des droits et des principes de justice sociale.
Nous intervenons auprès des personnes qui comptent souvent parmi les plus vulnérables de la société. Nous visons à rétablir leur fonctionnement social, à améliorer leurs conditions de vie et leur mieux-être, à favoriser leur intégration et leur participation citoyenne.
Les travailleurs sociaux jouent un rôle de premier plan dans le contexte des mesures de protection des personnes inaptes depuis le tournant des années 1990. D’ailleurs en 2009, le législateur nous a attribué la réserve exclusive de l’activité qui consiste à « procéder à l’évaluation psychosociale d’une personne dans le contexte des régimes de protection du majeur ou du mandat donné en prévision de l’inaptitude du mandant ».
J’insiste sur le fait que l’évaluation psychosociale constitue un geste professionnel de première importance. Nous portons un regard global sur la situation de la personne, sur sa réalité, ses besoins et ses aspirations. Nous statuons sur la mesure de protection la plus appropriée et nous déterminons si la personne a besoin d’être représentée dans l’exercice de ses droits civils. Également, nous évaluons et recommandons la ou les personnes les plus habilités à jouer ce rôle.
Nous sollicitons la contribution d’autres professionnels au besoin. Nous œuvrons également en collaboration avec les médecins, les juristes et le Curateur public.
Vous constaterez que l’évaluation est une activité complexe et sensible puisque le travailleur social est souvent placé au cœur de situations conflictuelles où plusieurs intérêts s’affrontent. Nous privilégions la mesure de protection la moins contraignante pour la sauvegarde optimale de l’exercice des droits et des volontés de la personne.
Le projet de loi no 18 s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la conduite professionnelle attendue des travailleurs sociaux. Nos membres devront intégrer, dans leur pratique, les nouveautés qu’entraînera la nouvelle loi et l’Ordre s’engage à bonifier ses formations professionnelles à leur intention.
Madame la présidente, ce projet de loi représente un pas de plus vers le respect et la préservation de l’exercice des droits civils. Il vise une plus grande sensibilité sociale à l’égard des préférences, des volontés et de la participation de la personne. Ce projet de loi tend à préserver un équilibre entre les principes d’autodétermination et de protection pour les personnes en situation de vulnérabilité.
Nous vous soumettons 17 recommandations qui visent à ajouter des balises pour mieux réussir l’actualisation de la nouvelle loi, protéger le public et éviter toutes formes de maltraitance. Aujourd’hui, nous avons choisi de mettre l’emphase sur certaines recommandations qui favorisent l’exercice optimal des droits des personnes tout au long du parcours de leur vie.
D’abord, l’Ordre salue la volonté inscrite au projet de loi qui prévoit que la tutelle sera modulée par le tribunal en fonction notamment des facultés de la personne. La notion de facultés est très importante et mérite d’être définie pour éviter toutes méprises par une interprétation restrictive au sens biologique du terme. Pour sa part, le travailleur social, par son évaluation multidimensionnelle, tient plutôt compte des capabilités de la personne. C’est-à-dire qu’il estime les ressources propres à la personne, combinées à celles disponibles dans son environnement dans le but premier de maintenir au maximum l’exercice de ses droits.
Nous recommandons donc l’ajout d’une brève définition de la notion de « facultés », dans le sens des « capabilités ». Cette précision sera gagnante pour tous et garante du respect de l’esprit de la Loi.
La mesure de représentation temporaire est une nouveauté au projet de loi. Elle vise à répondre au besoin d’une personne devenue inapte à la suite d’une évaluation médicale. Il s’agit d’une mesure, pour un seul acte, par une personne désignée, dans un temps spécifique. Ceci est un gain, mais comporte des risques.
Nous recommandons fortement un amendement afin d’exiger une évaluation psychosociale de pair avec l’évaluation médicale pour la mesure de représentation temporaire. Notre souci comporte 2 dimensions. Premièrement, valider si la personne désignée est en mesure d’exercer les droits qui lui sont confiés. Deuxièmement, si cette mesure ne répond pas, une tutelle pourrait s’avérer nécessaire.
Par ailleurs, les travailleurs sociaux déplorent qu’aucun encadrement ne soit systématiquement prévu pour le mandataire alors qu’il se voit confier notamment la pleine administration des biens de la personne inapte.
Le projet de loi propose l’instauration de l’inventaire obligatoire des biens et la reddition de compte, sauf sur renonciation expresse du mandant. Nous saluons ces deux dispositions qui exigent du représentant qu’il agisse avec transparence afin d’éviter tout préjudice et d’assurer la protection du patrimoine. Cela va dans le sens des efforts sociétaux contre la maltraitance financière et matérielle déployés au Québec au cours des dernières années.
Enfin, la mesure de l’assistant au majeur est un aspect novateur du projet. Elle suppose que la personne comprend la décision qu’elle prend et qu’elle confie à son assistant. Dans un souci de vigilance et de bienveillance, le curateur doit s’en assurer et, en cas de doute, il importe de prévoir une trajectoire afin que la personne en situation de vulnérabilité obtienne la bonne mesure.
Conclusion
Madame la présidente, l’Ordre appuie le projet de loi no 18 et nous souhaitons que nos 17 recommandations trouvent un accueil favorable de la part des parlementaires et du législateur.
Chaque jour, les travailleurs sociaux sont sollicités afin d’évaluer des personnes en besoin de protection. Vous conviendrez avec nous de l’absolue nécessité que les Québécois aient accès à leurs services dans le réseau public.
Également, nous invitons l’État à être sensibles aux besoins de soutien des acteurs sociaux afin qu’ils bénéficient des ressources requises pour contribuer à l’actualisation de cette future loi.
En terminant, le succès de cette nouvelle pièce législative reposera en bonne partie sur l’engagement, la rigueur et la contribution unique de nos membres, en collaboration avec les médecins, les notaires et les avocats. Je vous assure que, de concert avec le Curateur et son équipe, les travailleurs sociaux seront à la hauteur du défi que ce virage pose pour la protection des personnes. Ce défi est notre engagement.
Merci.