
Le 7 décembre, la présidente de l’Ordre, Guylaine Ouimette, T.S., présentait notre mémoire dans le cadre des travaux entourant l’étude du projet de loi 157, Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière. Intitulé La légalisation du cannabis commande la mise en place de programmes de prévention et de services sociaux pour accompagner les jeunes, les familles et la société, ce mémoire vise à sensibiliser l’État à l’importance de tout mettre en place pour assurer une gestion sociale et responsable du cannabis. Voici l’essentiel du message transmis par Mme Ouimette devant la ministre responsable du dossier et les membres de la commission parlementaire.
Nous sommes placés devant le fait accompli
« Tout le monde n’est pas confortable avec l’idée que dans moins d’un an il sera possible d’acheter du cannabis, en toute légalité, dans un établissement de l’État, comme on achète une bouteille de vin à la SAQ. Des gens sont inquiets, des parents sont inquiets, des enseignants sont inquiets. Cela dit, entendons-nous sur une chose. Nous sommes placés devant le fait accompli et, le 1er juillet 2018, la consommation de cannabis sera légale. Il s’agit simplement de se préparer en conséquence. Cela dit, personne ne souhaite que la légalisation du cannabis fasse en sorte que son usage gagne du terrain. D’ailleurs, à cet effet, nos experts se font rassurants; selon eux et selon plusieurs autres experts en la matière, la légalisation n’entraînera pas un accroissement majeur de la consommation, sauf peut-être, temporairement, chez les personnes qui voudront expérimenter le produit. Et, il faut bien le reconnaître, si la hausse de consommation s’expliquait par le fait que des gens en consomment de façon responsable, en toute connaissance de cause, il n’y aurait pas de problème. La bonne nouvelle, c’est que ces gens consommeront un produit contrôlé, sécuritaire. Ils seront également satisfaits de ne pas ou de ne plus encourager le crime organisé.
Créer des conditions d’encadrement et de gestion sociale et responsable
Donc, le vrai défi consiste davantage, selon nous, à créer des conditions d’encadrement et de gestion sociale et responsable de la consommation de cannabis, de même que de répondre aux besoins de la population en termes de services sociaux appropriés, notamment en ce qui a trait à la prévention, l’information et aussi, bien sûr, l’intervention dans les cas de surconsommation. Il y a en a déjà, il y en aura encore. Toutes ces actions, tous ces programmes, nécessitent que l’on mette la machine en marche dès maintenant. Juillet 2018, c’est demain! Vous avez donc la responsabilité, en tant que parlementaires, de tout mettre en œuvre et de prendre toutes les dispositions nécessaires, y compris au niveau budgétaire, pour que tout soit en place le moment venu.
Évidemment, personne n’est en mesure de prédire quels seront les impacts de la légalisation du cannabis sur la santé mentale des consommateurs. Toutefois, on doit s’attendre à ce qu’un meilleur contrôle du produit permette de transmettre des informations plus justes à son sujet et, par le fait même d’aider les gens à consommer de façon avisée et responsable.
Au niveau des services sociaux
Dans une logique de réduction des méfaits, il faut nécessairement compter sur une intensification majeure des services préventifs, de première ligne, de réadaptation et de développement des communautés. Les principes sur lesquels se sont construits les programmes de prévention au sujet de l’alcool et du tabac, par exemple, pourraient servir de référence. Il sera nécessaire de mettre en place des programmes d’éducation, de détection et d’intervention précoce.
En collaboration avec des travailleurs sociaux, dans divers milieux incluant les établissements d’enseignement primaire et secondaire, ces programmes de sensibilisation doivent viser à développer des réflexes de consommation responsable chez des jeunes qui débutent ou sont susceptibles de consommer du cannabis. Ils ont cependant besoin d’être informés et soutenus pour faire des choix de consommation responsable et sécuritaire. Dans la plupart des cas, les CLSC demeurent la porte d’entrée pour obtenir ces services. Or, vous le savez, le volet « services sociaux généraux » a subi d’importantes coupes budgétaires depuis des décennies, et encore plus au cours des dernières années. Un réinvestissement massif sera donc nécessaire afin de répondre aux attentes en prévention et en intervention auprès des personnes pouvant développer des problèmes de surconsommation.
Sécurité routière : deux poids deux mesures
Votre préoccupation, en tant que législateur, en regard de la sécurité routière est louable et découle d’une volonté de gestion socialement responsable de la consommation du cannabis. Toutefois, le fait de légaliser la consommation de cannabis, d’une part, et de privilégier une politique de tolérance zéro, d’autre part, nous semble contradictoire et difficilement applicable. Par exemple, la quantité de THC en présence dans l’organisme est influencée par différents facteurs comme le mode de consommation, la dose et la fréquence d’utilisation et le THC demeure détectable dans l’organisme plusieurs jours après usage, contrairement à l’alcool.
Nous enjoignons le législateur à rechercher d’autres avenues que la criminalisation dans une optique de réduction des risques et d’être vigilant dans l’équilibre à conserver entre la présence du produit détectable dans la salive et le lien avec les capacités affaiblies pour la conduite automobile. Qui plus est, ce principe de tolérance zéro priverait les travailleurs sociaux et les autres intervenants d’un levier important afin de proposer des solutions de réduction de méfaits.
Enfin, rappelons-nous que légalisation et précipitation ne font pas bon ménage. La préparation des acteurs sociaux et des professionnels qui évolueront dans ce contexte de légalisation du cannabis devra s’intensifier afin que les services soient au rendez-vous dès l’été 2018, au moment où la loi fédérale sera appliquée. »
Liste des recommandations soumises par l’Ordre dans son mémoire
- Que le gouvernement s’engage à ce qu’une part significative des recettes en provenance de la vente de cannabis soit versée au Fonds de prévention et de recherche en matière de cannabis pour être réinvestie en éducation, en prévention et en intervention auprès des personnes éprouvant des problèmes liés à la surconsommation du cannabis.
- Que le législateur introduise dans le projet de loi 157 des dispositions visant à intégrer les déterminants sociaux de la santé comme cible tant en prévention qu’en intervention.
- Que le législateur s’assure que les services préventifs, psychosociaux de première ligne et de réadaptation soient disponibles en quantité suffisante en fonction des besoins des personnes et des communautés.
- Afin de contrer le marché illicite et pour se conformer à l’esprit de la loi fédérale concernant la légalisation du cannabis, la Société québécoise du cannabis doit s’assurer que le produit soit offert dans un nombre suffisant de points de vente, que le taux de THC des produits soit inscrit sur les emballages et que le prix de vente soit comparable ou inférieur à celui demandé sur le marché illicite.
- Que le ministère de la Santé et des Services sociaux développe et offre des programmes et des campagnes de sensibilisation visant à diffuser une information claire et objective quant à la consommation du cannabis, s’inspirant de la campagne annuelle de prévention des dépendances.
- En collaboration avec des travailleurs sociaux et autres professionnels compétents en la matière, que la Société québécoise du cannabis mène des programmes de sensibilisation dans les établissements scolaires primaires et secondaires afin de développer chez les jeunes des réflexes de consommation responsable.
- Que l’État réinvestisse massivement pour rétablir l’accessibilité à des services sociaux de première ligne sur l’ensemble du territoire afin de répondre aux attentes en prévention et en intervention auprès des personnes pouvant développer des problèmes de surconsommation.
- Que le ministère de la Santé et des Services sociaux prenne les dispositions nécessaires afin que les professionnels, notamment les travailleurs sociaux, qui seront appelés à intervenir en éducation, prévention et surconsommation reçoivent les formations particulières requises afin de répondre adéquatement aux besoins des clientèles visées.
- La politique de tolérance zéro que le projet de loi entend imposer aux conducteurs de véhicules moteurs est difficilement applicable et potentiellement préjudiciable, au regard de l’alcool notamment pour lequel une certaine tolérance dans le sang est acceptée. Nous enjoignons donc le législateur à rechercher d’autres avenues que la criminalisation dans une optique de réduction des risques.
- Que le gouvernement dépose un bilan formel offrant un portrait complet des impacts du projet de loi, cinq ans après son entrée en vigueur afin que les correctifs nécessaires soient apportés, le cas échéant.