L’accessibilité aux services sociaux est préjudiciable pour la population : le gouvernement doit affirmer et solidifier une vraie première ligne en services sociaux
Le gouvernement doit agir dès maintenant pour reconstruire une première ligne efficace en services sociaux; le point de rupture est atteint et la situation est préjudiciable pour la population. C’est l’un des principaux messages lancés au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Dr Lionel Carmant, par la présidente de l’Ordre, Mme Guylaine Ouimette, T.S., lors d’une rencontre tenue le lundi 11 février.
Accompagnée de la directrice générale et secrétaire de l’Ordre, Mme Suzie Prince, la présidente a présenté au ministre un état de situation à la fois clair et préoccupant de la réalité vécue par les travailleurs sociaux et leur clientèle. Les représentantes de l’Ordre ont précisé au ministre que les transformations structurelles du réseau au cours des dernières années, l’entrée en vigueur de la Loi 10, en 2015, ainsi que les coupes massives imposées dans les secteurs des services sociaux et de la santé mentale ont provoqué le démantèlement de la première ligne en services sociaux ce qui a eu un effet domino sur les services de deuxième et troisième lignes.
La présidente de l’Ordre a précisé au ministre que la situation est critique, car elle constate avec peine une crise professionnelle majeure et sans précédent chez les professionnels en santé mentale et en relations humaines. Des actions s’imposent rapidement. L’Ordre a effectué plusieurs études et recherches, compilé les données du Bureau du syndic, du Service des affaires professionnelles et de l’inspection professionnelle, puis mené un important sondage auprès de ses 14 300 membres. Les résultats sont sans équivoques et alarmants.
Des problèmes importants ont été documentés :
- l’accessibilité aux services sociaux est difficile et préjudiciable pour la population;
- très peu de travailleurs sociaux sont en mesure, dans les conditions actuelles, de toujours respecter les normes scientifiques, les règles de l’art et les exigences déontologiques;
- les méthodes et indicateurs de performance ne sont pas adaptés aux services en santé mentale;
- les professionnels n’ont plus le soutien clinique et professionnel requis;
- la mobilisation des professionnels est au plus bas; ils vivent d’importants conflits éthiques et déontologiques. Plusieurs souffrent d’épuisement professionnel occasionnant des surcharges de travail difficilement conciliables avec l’ampleur des besoins des clientèles plus vulnérables.
L’offre actuelle est conçue autour des soins et services curatifs en santé au détriment de la promotion de la santé, du bien-être et de la prévention. Un coup de barre s’impose et doit passer par un réinvestissement massif et immédiat dans les services sociaux; les études à ce sujet sont concluantes. Le Commissaire à la santé et au bien-être et le Protecteur du citoyen sont unanimes. Il importe d’offrir une première ligne de services sociaux généraux qui tient compte des besoins populationnels. L’État doit miser sur la prévention, la prise en charge des personnes en première ligne, en temps opportun, assurer la fluidité des services pour diminuer les coûts de santé et des services sociaux et l’engorgement en deuxième et troisième lignes. Parallèlement, la charge administrative et bureaucratique imposée aux professionnels doit être revue de façon à leur permettre d’optimiser leur apport et leur temps d’intervention et déployer l’ensemble de leurs compétences.
La présidente de l’Ordre a rappelé au ministre que l’accès aux services sociaux est un puissant déterminant de la santé et qu’il s’agit d’une question très préoccupante à l’heure actuelle; les effets et les conséquences sont majeurs.
Le manque d’accès aux services sociaux porte préjudice à la population
L’Ordre a précisé au ministre que les délais d’attente sont trop longs et que le système se dégrade, ce qui porte préjudice à la population. Les travailleurs sociaux peinent à offrir une trajectoire de services efficace et à réaliser les suivis requis en temps opportun puisque le nombre de rencontres proposées est parfois insuffisant pour vraiment aider la personne. Il y a non-diligence dans la prestation des services et non atteinte des objectifs du plan d’intervention dans plusieurs cas. Enfin, les conditions de pratique actuelles ne permettent pas aux travailleurs sociaux de faire leur travail comme il se doit dans un grand nombre de cas et de secteurs. C’est donc la qualité et la probité des soins et des services qui sont en péril, donc la protection du public.
Une situation alarmante en centres jeunesse
La situation qui prévaut dans les centres jeunesse a fait les manchettes au cours des dernières semaines, mais le problème n’est pas nouveau. Les suggestions présentées à cet effet par l’Ordre à la ministre Lucie Charlebois, en novembre 2017 sont demeurées lettre morte.
Tous les secteurs d’activités en protection de la jeunesse sont en souffrance, ce qui compromet la sécurité des enfants et, par le fait même, la protection du public. Les constats sont nombreux et alarmants et le gouvernement doit agir. La présidente a été claire et a partagé les constats en précisant qu’un grand chantier s’impose pour revoir les façons de faire. L’Ordre sera contributif dans ces travaux afin que les enfants et leurs familles bénéficient de services professionnels adéquats.
Des professionnels en détresse
La détresse est majeure chez les travailleurs sociaux qui croulent sous le poids d’une surcharge de travail difficilement conciliable avec les attentes. Ils vivent d’importants conflits éthiques, déontologiques et de loyauté, car ils ne sont pas capables de répondre adéquatement aux besoins de la population.
Des indicateurs de performance préjudiciables pour la population et les professionnels
La présidente de l’Ordre a également abordé le dossier des indicateurs de performance. Elle a précisé au ministre que les indicateurs utilisés ne sont pas adaptés pour les services offerts dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Le Commissaire à la santé et au bien-être de même que le Protecteur du citoyen se sont également prononcés sur cette question. Ces indicateurs ne mesurent pas la qualité des services offerts à la population ni l’efficacité des interventions psychosociales. Ils ne sont pas représentatifs du travail effectué par les travailleurs sociaux et ne mesurent pas l’objectif visé. L’amélioration de la santé et du bien-être du client dans un délai adéquat, la fluidité de la trajectoire de services, l’efficacité des interventions et leur pertinence, l’accessibilité et la satisfaction du client ne sont pas au cœur des indicateurs de performance.
Le ministre Carmant était du même avis et a spontanément affirmé que la satisfaction de la clientèle et la résolution des problématiques ou l’amélioration de la santé et du bien-être devraient pourtant être la plus importante chose à évaluer. Il a donc clairement fait preuve d’ouverture à ce chapitre et a convenu que des changements devraient être effectués.
L’absence de soutien clinique et la démobilisation chez les travailleurs sociaux
La présidente a confié au ministre que malgré la passion qui les anime, un très grand nombre de travailleurs sociaux se disent démobilisés et même enclins à quitter le milieu. Ils expriment une perte de sens face à la profession qu’ils ont choisie. Elle a également attiré son attention sur la diminution significative de l’accès à la formation continue, aux stages ainsi qu’à l’encadrement de la relève, ce qui a un impact majeur sur la compétence des professionnels et la qualité des soins qui sont dispensés à la population.
L’Ordre souhaite faire partie de la solution
Enfin, la présidente de l’Ordre a réaffirmé au ministre Carmant la ferme volonté de l’Ordre de jouer un rôle actif afin d’identifier des solutions et de moderniser les services sociaux au Québec comme le souhaitent tous les partenaires et acteurs du milieu.
De son côté, le ministre a grandement apprécié la présentation de l’Ordre et sa connaissance de la réalité professionnelle de ses membres partout au Québec.
Un travail de collaboration est requis afin d’assurer la protection du public.