Mme Nathalie Rech
Organisatrice communautaire Projet Genèse
Jeudi, 4 août 2016
Madame,
C’est avec plaisir que nous vous acheminons cette lettre d’appui à la lutte contre le projet de loi 70. Le contenu de cette lettre est tiré d’une présentation que nous avons faite en février dernier, à l’Assemblée nationale, à l’invitation des partis d’opposition officielle, alors qu’il nous avait été refusé de présenter notre point de vue devant les membres de la commission parlementaire chargée d’étudier ce projet de loi.
La deuxième partie du projet de loi 70 instaure le programme Objectif emploi, forçant les premiers demandeurs de prestations d’aide sociale à participer à un accompagnement personnalisé en vue d’une intégration en emploi, les obligeant même à accepter un emploi dit convenable, malgré la distance entre le lieu de travail et leur résidence. Le refus de participer entraînerait une réduction de la prestation de base pouvant aller jusqu’à 50 %.
Clairement, pour nous, ce projet de loi va à contresens de l’esprit et de la lettre de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et représente une véritable catastrophe pour les personnes visées. Celles-ci s’enfonceront encore plus profondément dans la pauvreté, avec tout ce que cela comporte au plan humain et psychologique. De plus, le projet de loi 70 contribuera à élargir davantage le fossé des inégalités sociales, toujours en croissance au Québec.
Ce projet de loi fait porter sur les épaules des personnes visées une problématique sociale, économique et politique qui les dépasse largement et laisse entendre qu’elles ne font pas suffisamment « d’efforts » pour intégrer le marché du travail, passant ainsi sous silence le désengagement de l’État face à ces citoyens. Sans compter que le marché du travail est peu accueillant pour les personnes ayant une certaine vulnérabilité. Pourtant, l’État ne peut se soustraire à sa responsabilité sociale envers les personnes qui – bien qu’officiellement aptes au travail selon des critères strictement médicaux – ne disposent pas toujours des ressources personnelles et sociales nécessaires pour s’en sortir par elles-mêmes. En effet, une forte majorité d’entre elles est confrontée à d’importants obstacles à l’emploi : santé fragile, problématiques de santé mentale, monoparentalité, faible scolarité, échecs et rejets répétés, stigmatisation, faible soutien social, faible confiance en ses capacités, milieu de vie et historique familial difficiles, difficultés d’adaptation, etc.
Une chose est claire et tout le monde s’entend là-dessus : les prestations d’aide sociale actuelles sont insuffisantes pour permettre à une personne seule de combler même la moitié de ses besoins de base, besoins définis par la Mesure du Panier de Consommation. De si faibles prestations d’aide sociale représentent elles-mêmes une importante contrainte à l’emploi, rendant inabordables les dépenses liées au travail : transport, frais de garde, habillement, repas, etc.
Tout comme l’Observatoire de la pauvreté et des inégalités sociales, nous considérons que le projet de loi 70 correspond en tout point aux caractéristiques du « Workfare », qui soutient que l’État donne des prestations à une personne sans emploi, mais qu’en contrepartie celle-ci doit tout faire pour trouver un emploi et sortir de l’aide sociale. Pour les partisans du « Workfare », l’aide sociale n’est pas un droit, mais une faveur que fait l’État à certaines personnes.
Bref, un projet de loi qui touche directement les personnes les plus vulnérables devrait non seulement s’inspirer de la loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, mais surtout concourir à sa réalisation. C’est une question d’équité et de cohérence. Or, le projet de loi 70 ne va pas dans ce sens, bien au contraire. À cet effet, nous réclamons le retrait intégral de la deuxième partie du projet de loi 70, la hausse immédiate de la prestation de base à l’aide sociale à hauteur de 80 % de la Mesure du Panier de Consommation et, progressivement, à un montant équivalent à 100 % de cette mesure pour tous les prestataires. Nous demandons également un financement suffisant des mesures d’accompagnement et de formation personnalisées, volontaires, adaptées aux besoins et aux aspirations des personnes, ainsi que la prise en compte des problématiques particulières vécues par les personnes vivant en région (transport, opportunités d’emplois, etc.).
Espérant le tout utile, je vous prie d’accepter, Madame Rech, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
La présidente Guylaine Ouimette, T.S