Effectuer notre travail est un privilège qu’il ne faut pas prendre à la légère. L’impact que nous avons sur les vies qui croisent notre chemin peut être énorme. Plusieurs raisons peuvent nous emmener à exercer un travail d’aide. Mais je crois que nous devrions d’abord le faire pour les autres, pour les aider véritablement. Tous diront d’emblée qu’ils effectuent ce travail pour la clientèle mais ce qui nous motive fondamentalement fait toute la différence. La manière d’exercer notre tâche peut tout changer.
De nombreuses réformes ont vu le jour au fil des années et ont influencé notre manière d’approcher notre pratique. Essentiellement, on veut satisfaire une population en lui donnant accès à des services de santé qu’elle n’a plus les moyens de se payer. D’où la volonté de nos dirigeants de faire davantage avec moins, une approche bien connue en gestion mais qui comporte de sérieuses limites. Personne ne peut s’opposer à la volonté d’optimiser les services et de les rendre davantage accessibles. Mais s’inspirer du monde des affaires pour traiter la santé de la population ne peut se faire sans heurt. Couper la qualité d’un produit afin d’en augmenter la rentabilité s’avère surtout avantageux pour l’entreprise, rarement pour le client. Appliquer cette approche dans le domaine de la santé n’est pas sans conséquence, tant pour les clients que pour les intervenants qui les traitent.
Viser la bonne cible
Dans cette vision de notre système de santé, la performance semble devenir un guide qui nous éloigne de ce qui devrait tous nous animer à la base, à savoir le bien-être de la population. La compétence et l’efficience ne sont plus réellement mises de l’avant alors que la rapidité et la quantité deviennent des instruments de mesure privilégiés. Cependant, les véritables résultats dans le domaine de l’intervention ne se calculent pas simplement en chiffres. D’un point de vue statistique, on peut avoir l’impression d’aider davantage de gens alors qu’en réalité, ce sont les mêmes personnes qui reviennent nous consulter à répétition, dépendantes d’un système qui ne peut maintenant que les aider en partie.
Pire encore, certaines personnes ne reviendront plus nous solliciter en cas de besoin, déçues d’un système qui n’aura pas été en mesure de leur venir pleinement en aide. La clientèle s’alourdit alors que les intervenants se sentent dépassés et moins soutenus par leur organisation. Ceux qui veulent continuer d’offrir un bon service doivent maintenant non seulement se battre pour défendre leurs clients en difficulté, mais également se battre contre leur propre institution. Des attentes toujours plus difficiles à atteindre qui peuvent mener directement à l’épuisement.
Il s’agit essentiellement d’une gestion à court terme, n’offrant que des résultats à court terme. Elle apparait davantage bénéfique à l’organisation qu’à la population. Elle encourage la performance au détriment de l’humanité. Dans un tel contexte, on favorise une autre manière d’effectuer notre tâche, un autre style de gestion et même d’intervention. La motivation prend alors un tout autre sens. Le but n’est plus autant de protéger le client que de se défendre soi-même et le système dans lequel on œuvre. Au bout du compte, est-ce la meilleure façon d’aider la population? N’est-on pas en train de perdre l’essence de ce qu’est le travail social? Est-ce l’avenir que nous voulons pour notre système de santé?
Le pouvoir devrait être placé entre de bonnes mains. Nos dirigeants devraient être investis de valeurs profondément humaines et avoir la capacité de les défendre. La mission que nous défendons est bien plus grande que nous et devrait passer avant nos intérêts personnels et organisationnels. C’est la cause de la population qu’il faut défendre et non la nôtre. Aller au-delà des cadres établis et réellement aider ceux dans le besoin. Si c’est véritablement le cas pour ceux qui se situent au sommet de la prise de décision, l’influence se fera sentir auprès des gestionnaires et ultimement sur les intervenants qui œuvrent sur le terrain. Il ne s’agit pas simplement de le nommer dans des discours mais de réellement agir en ce sens.
La qualité… et le courage de la défendre
La qualité est rarement affaire de performance mais plutôt une question d’effort et de cœur. Les interventions que nous pouvons approfondir et compléter procurent de bien meilleurs résultats et perdurent dans le temps. Le petit geste de plus que nous pouvons faire auprès de notre clientèle peut faire toute la différence. Les personnes bien traitées nous sollicitent moins car elles réussissent à atteindre une certaine autonomie. Elles réclament également moins leur entourage et peuvent même se permettre de le supporter à leur tour. C’est ce qu’une vision à long terme peut nous apporter, si nous avons le courage de la défendre.
Au-delà de nos dirigeants, la réalité est que nous avons tous une responsabilité face à ce que nous vivons présentement. Accepter que le réseau prenne cette tangente revient en quelque sorte à l’endosser. C’est ensemble que nous pouvons réellement faire une différence. Les intervenants devraient donc avoir leur juste place dans la prise de décision. Ce sont eux qui connaissent le mieux la réalité du terrain.
Notre monde se transforme et nous ne pourrons empêcher les changements présents et à venir. Pourrions-nous alors seulement en faire partie? Donnez-nous la chance d’être consulté et de nous impliquer dans ces réorganisations. Donnez-nous la chance de faire partie du changement. Donnez-nous la chance de réaliser notre pratique. Donnez-nous la chance d’être de véritables travailleurs sociaux.
Et maintenant… quand est-ce qu’on commence?